France
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Expérimentations au niveau local : les essais essaiment

Crise écologique, chômage, précarité alimentaire… Et si les problèmes globaux que traverse le pays trouvaient leur résolution dans les territoires en s’appuyant davantage sur l’expérimentation locale ? Ses défenseurs en sont convaincus, elle est un outil démocratique à part entière permettant un dialogue vertueux entre le local et le global. Dans cette perspective, ils s’interrogent : comment peut-elle devenir une norme et participer à refonder les politiques nationales ? Peut-elle se déployer de façon plus régulière, plus organisée, en associant mieux les citoyens ? En 2023, la France qui essaie cherche encore sa place et sa méthode.

Rembobinons. En 2003, lors de la révision constitutionnelle, les collectivités territoriales se voient accorder pour la première fois un droit à l’expérimentation leur permettant d’adapter les lois et règlements nationaux pour des situations locales. Une avancée significative dans le débat sur la décentralisation. Seulement voilà, jusqu’en 2019, le Conseil d’Etat dénombre seulement quatre expérimentations-dérogations. L’univers juridique manque de souplesse et serait trop difficile à appréhender. Parmi ces initiatives, celle du revenu de solidarité active (RSA), initiée en 2007, fait figure d’exemple à ne pas suivre : généralisée avant même la publication des évaluations définitives, elle est aujourd’hui considérée par de nombreux observateurs comme un échec symbolique, la preuve que le dispositif n’est pas toujours pris au sérieux.

«Sans évaluation, difficile de mesurer les effets positifs ou négatifs. Il aurait fallu tester le RSA au moins cinq ans pour que cela puisse apporter des réponses utiles. Au final, quinze ans plus tard, on a constaté qu’il y avait un problème de financement, ce qui a suscité une volonté de recentralisation. Plusieurs départements, surtout les plus pauvres, ne pouvaient plus assumer cette gestion. Elle aura au moins permis de sensibiliser l’opinion», analyse Florence Crouzatier-Durand, professeure des universités en droit public à l’Université Côte d’Azur. «C’est encore un point de faiblesse aujourd’hui, abonde Boris Vallaud, député des Landes et président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. En politique, on a un rapport au temps qui est presque l’antithèse de l’expérimentation. Cette dernière nécessite du temps long pour penser, faire et évaluer, et nous, on est dans une permanente inflation législative. Un travers très français dénoncé par le Conseil d'Etat de rapports en rapports.»

«Processus vertueux»

Les acteurs plaident ainsi pour un allègement de la procédure. Dans les faits, le droit à l’expérimentation est donc surtout usité par l’Etat qui a la possibilité de transférer ses compétences aux collectivités. On peut citer le dispositif Territoires zéro chômeur de longue durée (imaginé en 2011 et lancé en 2017) en encourageant l’esprit d’initiative et la créativité dans les départements associés. La genèse du projet – qui se fonde sur trois constats : personne n’est inemployable, ce n’est pas le travail qui manque, ce n’est pas l’argent non plus – trouve sa source dans la société civile, en particulier ATD Quart Monde.

Vingt ans après la création d’un droit à l’expérimentation, la crise des gilets jaunes, la pandémie de Covid et la crise écologique n’ont fait que renforcer l’attrait pour le local et la demande urgente de proximité. En Charente-Maritime par exemple, après avoir remporté un appel à projet lancé par le gouvernement en 2017, l’agglomération de La Rochelle, la ville, l’université, le Port Atlantique et l‘association Atlantech se sont associés pour Territoire zéro carbone. Le programme a pour ambition de créer la première agglomération zéro carbone du pays d’ici 2040.

A l’autre bout de la France, la métropole lyonnaise met en œuvre, depuis 2021, un revenu solidarité jeunes pour répondre à leur précarisation galopante. En Gironde (mais aussi à Montpellier), le département, la ville de Bordeaux et le collectif Acclimat’action travaillent ensemble sur une carte vitale de l’alimentation, qui doit entrer en vigueur en 2024. «Si les résultats sont positifs, nous verrons comment il est possible de s’en servir à l’échelle nationale. Je crois beaucoup à ce mode de fonctionnement pour bousculer les sujets de société», assure Jean-Luc Gleyze, président de la Gironde et co-créateur de la plateforme Solutions solidaires. Dans une note publiée en juillet 2020, Nicolas Bouillant et Thierry Germain, de la Fondation Jean-Jaurès, décrivent les expérimentations locales de proximité comme «l’outil d’une République résiliente. Face à l’urgence et l’ampleur des mutations, il faut inventer fort et vite. […] Avec ce processus vertueux, elle permet de gagner du temps sur les transitions et peut faire de notre pays, dans tous ses recoins, un véritable laboratoire citoyen à ciel ouvert».

«Essaimage de solutions»

Les observateurs et les défenseurs de l’expérimentation locale alertent toutefois : l’empilement des bonnes pratiques ne suffira pas. Pour servir l’intérêt général, il faudrait sortir de l’inventaire et trouver une méthode pour généraliser les tests réussis. «La France, c’est le pays de l’expérimentation sans lendemain», se désole Gérard Blanchard, vice-président de la communauté d’agglomération de La Rochelle, en charge du projet Territoire zéro carbone. L’Etat est encore trop désarticulé, centralisé. Il veut tout penser et ne sait pas gérer cette diversité liée à la culture des territoires.» Boris Vallaud pointe, lui, un problème financier : «Il y a des fonds qui mériteraient sans doute d’être mieux dotés. Des territoires aimeraient expérimenter mais se sentent trop fragiles.»

«Ce qui doit être favorisé, ce sont les coopérations nouvelles et les inventions utiles, pas les batailles de chiffonniers entre collectivités ou le creusement des inégalités selon que l’on vive à tel ou tel endroit. Généralisée et encadrée, l’expérimentation locale peut permettre le large essaimage de solutions nouvelles en même temps que leur fine adaptation aux réalités locales», préconisent ainsi Timothée Duverger, Thierry Germain et Achille Warnant, membres de la Fondation Jean-Jaurès dans une note publiée en avril. En ce sens, restaurer le lien avec la société civile en encourageant la démocratie participative n’a jamais été aussi décisif. Pour répondre à leurs aspirations, les citoyens sont régulièrement associés dans les expérimentations, par exemple, à l’occasion de la Convention citoyenne pour le climat lancée en 2019, malgré le goût amer qu’elle a laissé aux participants. De plus en plus exigeants et attentifs, les citoyens fustigent les expériences qui ne les impliquent qu’en surface, celles qui les utilisent sans leur expliquer à quoi leur avis va servir concrètement. «Je repense à une dame, heureuse d’être concertée sur la Sécurité sociale de l’alimentation, qui m’est quand même rentrée dans le lard en me disant : “J’espère que notre avis va servir et que vous ne faites pas ça uniquement pour votre communication politique. Je serais très déçue s’il n’y avait pas de suite”, se remémore Jean-Luc Gleyze. C’est aussi à nous de leur redonner confiance dans le système démocratique.»