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Taïwan: «Le Japon assume la confrontation croissante avec la Chine»

Les manœuvres chinoises d'une agressivité inédite autour de l'île de Taïwan sonnent l'alerte dans la région Asie-Pacifique, notamment en Corée du Sud et au Japon. Bien que les deux pays aient accueilli la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, ils sont tiraillés entre leurs intérêts économiques vis-à-vis de Pékin et leur alliance sécuritaire avec les États-Unis. Entretien avec Antoine Bondaz, expert de l’Asie à la Fondation pour la recherche stratégique.

RFI : Nancy Pelosi, est-elle vue comme une « visiteuse encombrante » à Séoul et à Tokyo?

Antoine Bondaz : Il est clair que c’est que cette visite est un peu embarrassante, parce qu’on est dans un contexte international extrêmement tendu, et que ce contexte tendu est provoqué en partie par la visite de Nancy Pelosi. Cependant, il y a une différence d’approche assez forte entre la Corée du Sud et le Japon. La Corée du Sud est beaucoup plus tiraillée entre sa dépendance économique à la Chine et sa dépendance sécuritaire aux États-Unis que le Japon. Le Japon a pris des mesures ces dernières années pour s’affirmer beaucoup plus ouvertement face à la Chine, et même s’il y a évidemment des intérêts économiques vis-à-vis de Pékin, les intérêts de sécurité de Tokyo priment, et on a des annonces extrêmement fortes de la part du gouvernement japonais avec notamment le possible doublement du budget militaire japonais, et surtout également le renforcement de l’ensemble des capacités militaires japonaises pour faire face à la Chine. Donc, le Japon est beaucoup moins « mal à l’aise » pour assumer cette confrontation croissante avec la Chine que la Corée du Sud, même si, évidemment, ils ne la souhaitent pas. La Corée du Sud reste tiraillée entre Séoul et Washington et doit surtout prendre en compte le facteur nord-coréen, sur lequel la Chine a, bien sûr, des leviers et est un facteur déterminant.

Face aux plus grands exercices jamais organisés par l'armée chinoise autour de Taïwan, Washington monte le ton : le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a fustigé des « provocations » et une « escalade importante des tensions ». Les États-Unis accusent Pékin d'avoir « surréagi » à la visite de Nancy Pelosi. Washington n’avait pourtant pas souhaité qu’elle se rende dans la région. Est-ce qu’aujourd'hui, le gouvernement américain est dans l'embarras, forcé de réagir à une crise avec la Chine qu’il n'a pas voulu ?

Antoine Bondaz : Le gouvernement américain se serait bien évidemment passé de cette visite de Nancy Pelosi qui a peu d’intérêt pour les États-Unis. Mais du côté américain, maintenant que cette visite a eu lieu, il faut gérer les conséquences. Il y a une première dynamique, qui est que les Américains sont obligés d’en faire de plus en plus pour crédibiliser les garanties de sécurité apportées à Taïwan, mais plus largement à leurs alliés face à la Chine. Car les capacités militaires chinoises s’accroissent, et donc les Américains doivent conserver la crédibilité de leur garantie de sécurité. Le deuxième aspect est que nous sommes dans une tendance où il y a de plus en plus d’échanges et des relations entre Taïwan et notamment les pays occidentaux, qu’elles soient économiques, scientifiques, technologiques, culturelles, et ça c’est important du point de vue des Taïwanais puisque la société civile taïwanaise, elle, se sent en général ostracisée, discriminée, alors même que les Taïwanais ne veulent pas changer le statu quo, alors même que les Taïwanais n’ont aucune revendication territoriale sur un autre pays et que les Taïwanais ont l’impression de payer pour les provocations chinoises.

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Quel bilan tirez-vous de cette tournée asiatique de Nancy Pelosi ?

Cette visite est avant tout instrumentalisée aujourd’hui. Elle est instrumentalisée pour servir de prétexte à un accroissement d’une stratégie de pression, qu’elle soit militaire, économique et diplomatique, exercée par la Chine sur Taïwan depuis maintenant plusieurs années, et particulièrement depuis l’arrivée au pouvoir en 2016 de la présidente Tsai Ing-wen. Cette visite est aussi un satisfecit d’une partie de la population taïwanaise puisqu’elle est extrêmement symbolique et elle met en selle le fait que Taïwan n’est pas coupé du monde et que malgré cette pression justement de la Chine, Taïwan continue d’interagir avec le reste du monde. Du côté des États-Unis, la situation est plus compliquée. Le gouvernement américain se serait bien passé de cette crise, il va désormais falloir en gérer les conséquences. Il faudra renforcer la crédibilité des garanties de sécurité américaine apportées à leur partenaire taïwanais, mais aussi à leurs alliés Japonais et Coréens dans la région.

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