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Moqtada al-Sadr, l’homme au cœur de la crise irakienne

Depuis les élections législatives d’octobre 2021, l’Irak n’a pas réussi à se doter d’un nouveau gouvernement. Depuis une semaine, le Parlement, occupé pendant plusieurs jours par les partisans de Moqtada Sadr, est fermé. Le chef religieux chiite est l’acteur incontournable de cette crise : c’est lui qui donne actuellement le tempo politique.

Le thermomètre affichait 46 degrés à l’ombre, mais cela n’est pas de nature à démobiliser les partisans de Moqtada al-Sadr. Ce vendredi 5 août encore, des dizaines de milliers d’Irakiens ont répondu à son appel et participé à une prière en plein air, sur une place de la zone verte de Bagdad. Pour la quatrième fois en trois semaines, Moqtada al-Sadr a réussi une démonstration de force. Fait marquant, les sadristes n’ont actuellement pas de difficulté à pénétrer dans cette zone censée être ultra-sécurisée, où se trouvent les institutions nationales et plusieurs ambassades. À deux reprises la semaine dernière, les partisans du chef religieux chiite sont entrés dans le Parlement pour empêcher la désignation d'un Premier ministre auquel ils étaient opposés.

Avec ces rassemblements de masse, Moqtada al-Sadr a démontré qu'il compte un réservoir important de fidèles. « Le mouvement sadriste reste populaire, car il a su capitaliser sur la colère populaire, le mécontentement social. Il se présente comme un mouvement réformiste », estime Hardy Mède, chercheur associé au centre européen de sociologie et de sciences politiques.

« C'est aussi un mouvement très centralisé et fondé sur un réservoir de militants aguerris qui sont très efficaces sur le terrain. Ils sont capables de mobiliser les gens très rapidement », poursuit le chercheur, pour qui Moqtada al-Sadr est aujourd’hui l’homme politique le plus populaire d’Irak.

Élargir sa base

Mais sa popularité ne lui offre pas le soutien de la majorité de la population. L’Irak est un pays divisé sur le plan confessionnel et l’électorat chiite – celui de Moqtada al-Sadr – est lui-même partagé entre plusieurs tendances. Une partie soutient ses adversaires du Cadre de coordination, une coalition de formations pro-Iran. « Si on compte que tous ses électeurs vont voter, il ne peut obtenir plus d’un million de voix sur une population en âge de voter de 20 millions de personnes ; cela représente 5% du corps électoral », relève Marshin Alshamary, chercheuse à l'école Kennedy de l'université Harvard.

► Réécoutez l'Invité International : Crise politique en Irak: «Dans l'esprit de Moqtada al-Sadr, il s'agit de jouer la rue contre les institutions»

Lors des élections législatives d’octobre dernier, Moqtada al-Sadr est arrivé en tête, avec un bloc de 73 députés. Mais malgré le soutien de formations kurdes et sunnites, il a été incapable de former une majorité. Bien que populaire, il reste minoritaire. Et faute de parvenir à gouverner, il conserve un pouvoir de nuisance pour ses adversaires, mobilisant ses partisans facilement. Mais Moqtada al-Sadr a besoin d'élargir sa base populaire.

« Ce que Moqtada al-Sadr essaye de faire, c'est d'en appeler à tous les autres Irakiens » relève Marsin Alshamary. « Pour parvenir à les toucher, il dit que c'est une bataille contre la corruption. Et le timing de ce chaos joue un rôle aussi. Nous sommes dans la période du pèlerinage de l'Achoura. Il veut jouer sur le sentiment religieux des gens, dans l'espoir qu'ils rejoignent son mouvement de protestation » poursuit-elle.

Lutte contre la corruption

Dans la manifestation qui a suivi la prière ce vendredi, les partisans de Moqtada al-Sadr ont scandé « Oui aux réformes, non à la corruption ». La corruption gangrène l'État et pèse sur le quotidien des Irakiens. Moqtada al-Sadr se présente comme le porte-drapeau de la lutte contre ce fléau. Il appelle à la révolution, demande un changement de système et impute la responsabilité de la situation du pays aux autres partis politiques.

Le chef religieux cherche à se poser comme un opposant, comme extérieur à l'État irakien. Or, son mouvement est un parti de gouvernement. Et il traîne un bilan. « Je pense que l'Irakien moyen, particulièrement l'Irakien de la classe moyenne, se souvient de qui est Moqtada al-Sadr, que son parti politique contrôle le ministère de la Santé, qui est un ministère catastrophique, qu'il a contrôlé le ministère de l'électricité », estime Marsin Alshamary. « Donc, Moqtada al-Sadr est associé aux mauvais services publics et je pense que ce ne sera pas facile pour lui de mobiliser des millions de personnes. »

Le leader chiite irakien Moqtada al-Sadr, lors de son allocution télévisée, le 3 août 2022.
Le leader chiite irakien Moqtada al-Sadr, lors de son allocution télévisée, le 3 août 2022. © AFP

Changer le système

À travers ces mobilisations, Moqtada al-Sadr cherche à obtenir un changement du système politique. Depuis l'invasion américaine, l'Irak a un système politique qui fonctionnait de manière consensuelle. Chaque communauté a des postes dédiés : la présidence pour les Kurdes, la tête du gouvernement pour les chiites, la présidence du Parlement pour les sunnites. L’exécutif, lui, est « un gouvernement d'union nationale auquel tous les partis politiques participent et dans lequel chacun a des quotas », explique Hardy Mede, du Centre européen de sociologie et de sciences politiques.

Moqtada al-Sadr veut modifier ces habitudes politiques. « Sadr veut un gouvernement majoritaire, c'est-à-dire avec des alliés, qui repose sur une majorité au Parlement, mais sans inclure l’ensemble des partis politiques ». La formation d’un tel gouvernement lui permettrait de s'imposer comme l'homme fort du pays, particulièrement dans le camp chiite. « Je pense que le but ultime de Moqtada al-Sadr est de devenir le chef des chiites en Irak. Un point c'est tout. Il ne veut plus partager le butin avec qui que ce soit du camp chiite. C'est pour ça qu'il essaye de marginaliser les autres partis chiites », juge Marsin Alshamary, de l’école Kennedy de l’université Harvard.

Mis en échec au parlement, Moqtada al-Sadr a finalement demandé à ses élus de quitter le Parlement et a déplacé le combat dans la rue. Désormais, il réclame l'organisation de nouvelles élections, ce qu'il pourrait être sur le point d'obtenir de ses rivaux. Avec un scrutin anticipé, il espère accroître encore son poids électoral et obtenir cette fois-ci un bloc majoritaire avec le soutien de ses alliés kurdes et sunnites. Mais si de nouvelles élections sont organisées, l'abstention, déjà en hausse lors des législatives d’octobre dernier, devrait encore grimper. La question sera donc de savoir dans quel camp les électeurs seront le plus démobilisés. Moqtada al-Sadr semble parier sur le fait que la lassitude des Irakiens pénalisera plus ses adversaires que lui-même.

► Réécoutez notre reportage : L’Irak peut-il être gouverné sans l’influent clerc chiite Moqtada al-Sadr?