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Les cultures vodoun au cœur de la Biennale de Ouidah au Bénin

La Biennale de Ouidah consacrée aux arts et cultures vodoun est un événement à la croisée des créations artistiques contemporaines et de la recherche scientifique. Cérémonies rituelles, projections documentaires, concerts et journées scientifiques rythment la programmation. Rencontre avec Lilly Houngnihin, directrice de Laboratorio Arts contemporains qui pilote la Biennale.  

RFI : Vous êtes directrice exécutive depuis 2013 du Laboratorio Arts Contemporains. Pouvez-vous nous parler de cette plateforme ?

Lilly Houngnihin : C’est une plateforme intercontinentale de mise en œuvre de projets de coopération dans le champ des industries culturelles et créatives. Nous avons trois bureaux sous-régionaux : l’un au Bénin depuis 2010, un siège en Suisse et depuis 2014, un bureau en Haïti. En général, nous travaillons énormément sur la mobilité des artistes avec des projets qui se déroulent en Afrique de l’Ouest, en Europe, ou dans les Caraïbes et qui font intervenir des artistes qui interrogent les crises majeures qui secouent nos sociétés.

Que recouvrent les termes d'arts et cultures vodoun ?

Quand Laboratorio Arts Contemporains a été créé par Silvana Moï Virchaux en 2010, on a décidé de se mettre à l’intersection de la recherche scientifique et de la création artistique contemporaine. Le vodoun est un marqueur identitaire fort pour les Béninois. Et nous ne parlons pas de l’acception religieuse ésotérique du vodoun qui a été la plus vulgarisée. Pour nous, le vodoun est un mode de pensée, tout un système civilisationnel qui comprend effectivement un axe religieux, mais qui est aussi porteur d’une esthétique particulière.

En tant que Béninois, nous baignons dans le vodoun. Dès la naissance, il y a des rituels qui vous sont appliqués et qui font de vous, à plus ou moins grande échelle, quelqu’un qui est sensibilisé à l’esthétique vodun. Quand on parle des arts et des cultures vodoun, c’est toute cette esthétique et ces modes de pensée transmis de génération en génération.

Cette métadonnée esthétique, artistique, en termes de savoir faire, de savoir être, de langage, a voyagé avec la déportation des Noirs pendant la traite négrière et s’est essaimée dans les Caraïbes, à Haïti, à Cuba, au Brésil. À partir de cet essaimage, il y a des codifications esthétiques qui se sont agrégées à ce qui est sourcé depuis nos contrées africaines. Cette Biennale est alors une façon de rassembler tous ces modes de pensées et de les faire revenir ici pour discuter des enjeux de ces questions aujourd’hui.

Le vodun, pilier de la culture béninoise, est à l’honneur de la Biennale de Ouidah, jusqu'au 16 août.
Le vodun, pilier de la culture béninoise, est à l’honneur de la Biennale de Ouidah, jusqu'au 16 août. © Anne Bocandé

Quels sont les enjeux du vodoun aujourd’hui et de sa circulation justement ?

Quels sont les travaux scientifiques, théoriques ou pratiques qui ont été réalisés sur le vodoun ? Quels sont les enjeux liés à la vulgarisation du vodoun aujourd’hui ? Quels modes de dialogue pouvons-nous entamer avec les populations détentrices de ce patrimoine ? Je parle des communautés qui travaillent quotidiennement à conserver et à transmettre ce patrimoine aux générations futures. Ce sont quelques questions auxquelles nous essayons de répondre pendant cette Biennale.

Avec aussi tout un volet artistique.

Nous recevons des artistes d’Haïti comme Erol Josué, du bureau national d’ethnologie et qui est lui-même hougan, Pascale Monnin qui est plasticienne suisso-haïtienne, Ivonne Gonzalez qui est musicienne, avocate et activiste cubano-suisse, Bonbon Vaudou un groupe de musique français, etc. Nous avons essayé de rassembler à Ouidah la plus large connexion possible d’artistes et d’intellectuels qui s’inspirent de l’esthétique vodoun. Les mettre en conversation dans cet endroit sacré, le Palais du chef suprême du vodoun, qui est aussi un lieu sacré pour la plupart des vodouisants afrodescendants. Nous proposons aussi une rétrospective de films réalisés sur le vodoun, avec un cycle notamment autour des œuvres de Charles Najman, qui avait filmé la première biennale dédiée au vodoun qui a eu lieu en 1992 à Ouidah. Nous faisons aussi une large place à la scène émergente du Bénin comme Valdo Idaël et sa musicothérapie ou encore Koudy Fagbemi qui est dans l’héritage du savoir-faire musical yoruba. C’est le groupe BIM (Bénin International musical) qui va clôturer la biennale. 

En quoi consiste, dans la continuité de la Biennale, le projet de création d’un centre culturel. Pouvez-vous nous en parler ?

La question de la création d’un centre de ressources est liée à un problème que nous observons en Afrique. Les sources orales qui constituent, pour la plupart des Africains, des référents intellectuels et historiographiques, ne sont pas légitimées dans les travaux de recherche contemporaine. Il y a comme une désestimation de la qualité scientifique des sources orales. C’est pour cette raison que nous avons décidé d’organiser les journées scientifiques à Ouidah dans la cour du chef suprême du vodoun, pour mettre en interaction les chercheurs et la communauté vodouisante détentrice de métadonnées non transcrites.

Le projet de création à moyen terme d’un centre de ressources sur les arts et cultures vodoun obéit d’abord à cette première injonction d’entamer un travail de plaidoyer pour légitimer les sources orales dans les recherches concernant le vodoun. Le deuxième enjeu est mémoriel. Il est important qu’on puisse avoir ici sur place un lieu avec des références documentaires fiables pour toute personne s'intéressant au vodoun. Vous n’êtes pas sans savoir que le vodoun a été beaucoup décrié dans la littérature, dans le cinéma, dans les arts. « On a peur du vodoun», « c’est de la sorcellerie »... Tout ça, par manque d’informations. D’où l’enjeu de construire un centre de ressources documentaires.