Burundi
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Repenser la presse| L’histoire de la législation de la presse au Burundi (partie 1): 1922-2003, une liberté souvent entravée

Par Gérard Ntahe

Le premier texte juridique réglementant la presse au Burundi est l’ordonnance législative du 5  mars 1922, approuvée par le décret du 26 août de la même année.

D’après les travaux préparatoires, ce texte est adopté en vue de contrer d’une manière efficace la propagande tendant à soulever la population indigène contre l’autorité coloniale et même contre la population blanche. Premier texte réglementaire, première expérience de censure au Burundi ? Ce texte de loi a pour objectif de donner à l’autorité coloniale la possibilité d’interdire la publication et la circulation dans les colonies des journaux et périodiques d’articles susceptibles de remettre en cause l’ordre colonial et l’autorité. Cette ordonnance législative de 1922 a une durée d’application longue puisqu’elle n’est abrogée que par la loi N° 1/136 du 26 juin 1976.

Puis vient la loi N° 1/136 du 25 juin 1976 qui constitue une étape importante dans la réglementation  de la presse, car pour la première fois, le pays dispose d’un ensemble de règles plus ou moins complet : les droits et les devoirs des responsables de presse et des journalistes sont présentés, les conditions exigées pour la publication d’un journal, d’un écrit périodique et pour la diffusion d’émissions de radiodiffusion sont précisées, la réglementation du droit de réponse et des délits de presse est actualisée.

Néanmoins, la liberté d’expression proclamée par la loi en question est relativisée par des dispositions dictées par le système politique et l’idéologie dominante de cette période.

En vertu de ce texte, « les responsables des médias et les journalistes doivent se référer à l’idéologie du Parti, seul organe responsable de la vie politique nationale. Ils doivent toujours œuvrer en patriotes convaincus » article 6.

De fait, rien à l’époque n’échappe à l’emprise du Parti UPRONA.

« Le Parti décrit l’orientation générale de la Nation et inspire l’action de l’Etat. Il contrôle l’action du gouvernement et du pouvoir judiciaire. » (article 13 de la Constitution de 1974)

« Le pouvoir législatif est confié au Président de la République, Secrétaire Général du Parti. » (Article 48)

Dans ce contexte, une mission particulière était assignée à la Radio : « la Radio est l’instrument de mobilisation de notre pays où la majorité de la population est analphabète. Elle assure une large diffusion des principes, du programme et des mots d’ordre du parti. Les masses pourront recourir à la Radio et pourront dialoguer avec les dirigeants. La Radio deviendra bientôt le véhicule d’une éducation politique des masses. Des efforts seront entrepris pour faire de « la Voix de la Révolution (Radio Nationale) un moteur pour le développement » (Actes du Premier Congrès du Parti UPRONA ,1981).

La considération que les médias pouvaient mobiliser la population pour le développement et rattraper son retard économique sur les autres nations a été généralisée dans presque toute l’Afrique subsaharienne. Cette époque a été caractérisée par une main- mise totale du gouvernement sur les médias par l’intermédiaire de directeurs tout dévoués et par une censure plus ou moins ouverte, et surtout par une autocensure généralisée.

La loi du 25 juin 1976 sera abrogée par la loi du 26 novembre 1992.

Le Décret-loi N°1/4 du 28 février 1977 portant institution du monopole de l’Etat dans le domaine de la radiodiffusion et de la télévision

Quatre mois à peine après la promulgation de la loi du 25 juin 1976, un nouveau régime issu d’un coup d’Etat militaire est proclamé. Ce changement allait entrainer quelques conséquences dans le domaine de l’exercice de la liberté de la presse. Il s’agit d’abord de l’institution du monopole de l’Etat dans le domaine de la radiodiffusion. Alors que la loi de juin 1976 subordonne l’exploitation d’une station de radiodiffusion ou de télévision à l’autorité préalable du Ministère ayant l’information dans ses attributions (article 14), le Décret-loi du 28 février 1977 abroge purement et simplement cette disposition en ces termes : « Seul l’Etat peut, au Burundi, exploiter, directement ou par l’intermédiaire d’établissements publics, des stations de radiodiffusion ou de télévision produisant des émissions destinées au public. » (article 1)

L’instauration du monopole de l’Etat dans le domaine de la radiodiffusion allait se traduire par l’impossibilité légale de lancer une nouvelle station de radio, mais également par la réduction au silence de celle existant alors. En l’occurrence, Radio Cordac, d’obédience protestante, allait faire les frais de la nouvelle réglementation car elle cessa définitivement d’émettre dès lors.

A ce monopole de droit de l’Etat dans le domaine de la radiodiffusion et de la télévision allait s’ajouter un monopole de fait dans le domaine de la presse écrite. En effet, par l’Ordonnance N° 580/127 du 29 mai 1978, le Ministre de l’Information suspendait la publication du Journal Ndongozi sur toute l’étendue de la République du Burundi, au motif qu’il s’avérait « nécessaire de déterminer son champ d’activité et pour éviter toute confusion ». Sa nouvelle parution était conditionnée par son « respect de la législation en vigueur en matière de presse au Burundi, notamment la loi N° 1/136 du 25 juin 1976. »

Le journal Ndongozi, publié sous l’autorité de l’épiscopat catholique était le descendant de Rusiziramarembe, créé en 1939 par les missionnaires catholiques pour informer et évangéliser la population burundaise. Il était devenu Ndongozi à partir de 1954. Suspendu officiellement pour « non-respect de la législation en vigueur en matière de presse au Burundi », le journal a été en fait victime des rapports exécrables prévalant entre l’Eglise Catholique et la IIème République (1976-1987).

Une fois Radio Cordac réduite au silence et le journal Ndongozi suspendu, le gouvernement resta seul détenteur des moyens de communication de masse. Jusqu’à l’avènement du pluralisme politique initié au début des années 1990, la presse de l’Etat exerça un règne sans partage sur le terrain de l’information publique.

1992, un tournant positif

Le décret-loi du 26 novembre 1992 s’inscrit dans le cadre du pluralisme politique engagé au début des années 1990 et concrétisé par la Constitution du 9 mars 1992 adopté à l’issue d’un référendum populaire. Cette loi est plus complète et plus libérale que celle de juin 1976 car elle proclame la liberté pour tous de créer leurs propres médias dans le respect évidemment des lois et règlements. Elle innove même en créant pour la première fois un Conseil national de la communication. Ce conseil dispose de pouvoirs très étendus pour veiller à la liberté de la communication audiovisuelle et écrite. En matière décisionnelle, le CNC a le pouvoir de gérer l’accréditation des journalistes étrangers et son retrait, l’implantation d’un média au Burundi, la suspension et l’interdiction des activités d’un média, la publication de tout journal ou périodique, l’exploitation d’une station de radio ou de télévision et l’exploitation d’une agence de presse et la réalisation d’un film sur le territoire burundais.

Ce texte suscite toutefois de vives réactions dans les milieux de la presse. Aussitôt après sa promulgation, le comité exécutif de l’Association Burundaise des Journalistes se réunit et rend publique une déclaration, largement répercutée par les organes de presse, aussi bien officielle que privée.

L’Association burundaise des journalistes juge inconcevable que les journalistes aient été écartés de la rédaction de cette loi et le comité exécutif relève plusieurs insuffisances. Tout en proclamant la liberté de la presse, le  texte de novembre 1992 apporte des restrictions qui entravent son exercice : reconnaissance au journaliste du droit de ne pas révéler ses sources d’informations, sauf sur réquisition expresse d’une autorité judiciaire compétente ; non-reconnaissance de la clause de la conscience ; possibilité pour le gouvernement d’exercer un recours en annulation de certaines décisions du Conseil National de la communication auprès de la Cour administrative, possibilité accordée au ministère de la communication d’interdire et de suspendre des médias en cas de force majeure, dépôts divers, autorisation préalable rendue obligatoire.

Pour le comité, les conditions matérielles nécessaires à l’exercice de cette liberté ne sont pas non plus précisées par cette loi. Concernant l’aide que l’Etat doit accorder à la presse, la loi reste vague et imprécise sur le calendrier. Les facilités accordées aux journalistes sont renvoyées à l’adoption d’une future ordonnance. Pour les promoteurs de la presse privée, un décret doit être pris par le gouvernement pour préciser les avantages fiscaux qui leurs seront accordés. Ainsi, rien n’est dit ni sur les tarifs préférentiels, notamment en ce qui concerne la poste, les télécommunications, l’électricité ni sur un fonds d’aide directe à la presse tel qu’il existe dans d’autres démocraties.

De 1992 à 1999, une cinquantaine de titres qui vont tous disparaître

On l’a vu, jusqu’au début des années 1990, le paysage médiatique burundais est caractérisé par l’omniprésence d’une presse d’Etat qui, pour l’essentiel, se cantonne dans un rôle de propagande au service des gouvernements successifs, opérant à chaque changement de régime des retournements de veste sans trop d’excès d’état d’âme.

Le pluralisme politique ouvre une période sans précédent de l’éclosion de la presse écrite privée. C’est ainsi qu’à la fin de l’année 1994, une vingtaine de nouvelles publications auront été autorisées à paraître par le Conseil national de la communication. De 1992 à 1999, une cinquantaine de titres, qui vont tous disparaître plus ou moins rapidement pour des raisons financières, seront autorisés par l’organe de régulation.

S’agissant de la presse audio-visuelle, le décret-loi du 26 novembre 1992 a, on l’a vu, cassé le monopole de l’Etat sur les ondes instauré par le décret-loi du 28 février 1977. La floraison des publications écrites n’a cependant pas eu son équivalent dans le domaine audio-visuel, en raison de motifs aussi bien économiques que techniques. D’une part, alors que le lancement d’un journal ne nécessite pas de moyens matériels importants, tout au moins au début, il en va tout autrement pour la radio et la télévision.

D’autre part, le nombre limité de fréquences disponibles lié à la rareté des ordres commande que l’autorité compétente, en l’occurrence l’Agence de Régulation de Contrôle de la Télécommunication, n’accorde des autorisations d’émettre qu’à des promoteurs triés sur le volet.

La première équipe de radio Umwizero
Debout de gauche à droite Bernard Kouchner, Martine Kanani, AntoineKaburahe, Jean Baptiste Bireha, Arthemon Nkuzumwami (Technicien), Céline blazy (DAF), Philippe Perdrix, Amissi Sekembwe (+), Abbas Mbazumutima, Jacqueline Segahungu, Edgar Mbanza, Dieudonné (logistique)

Pour ces deux raisons combinées, seules trois radios auront été autorisées à émettre de 1992 à 1997 : il s’agit de la Radio CCIB FM+ lancée en juin 1995, de la Radio Umwizero lancée en février 1996 et de la Radio Culture, qui a débuté ses émissions en 1997.

Par rapport à la loi de 1992, celle de 1997 apporte un changement important, celui portant sur la sanction des délits de presse. Dorénavant, au lieu de deux mois maximum de servitude pénale et d’une amende de 50.000F, il est prévu de sanctionner les délits de presse, quel que soit leur gravité, d’une peine  de six mois à cinq ans de servitude pénale et d’une amende de 50.000F à 100.000F.

Par ailleurs, la prescription des actions judiciaires en matière de délits de presse passe de trois mois, à compter du jour de la publication ou de la diffusion de l’information contestée, à une année, si l’acte considéré est sanctionné par une contravention, et à trois mois par un acte délictueux.

L’aggravation des peines sanctionnant les délits de presse s’explique par le contexte dans lequel la  loi de 1997 a été élaborée et promulguée.

Le système du Parti unique à peine abrogé, les échéances électorales fixées à juin 1993 déclenchèrent une ruée sur le moyen d’expression politique et de lutte électorale par excellence qu’offrait la propriété d’un journal.

L’assassinat du Président Melchior NDADAYE en octobre 1993 et les massacres sélectifs qui s’ensuivirent firent éclore une presse privée dont les excès criants la feront qualifier par les uns de belliqueuse, désinvolte et hors-la-loi[1] , ou encore de médias de haine[2].

Le législateur a donc jugé bon d’adopter une législation à même de faire face à la situation, en aggravant de manière significative les sanctions réprimant les délits de presse. Ce fut la principale marque de la loi de 1997 par rapport à celle de novembre 1992.

Ancien Directeur de l’Ecole de journalisme, Gérard Ntahe est Avocat au Barreau de Bujumbura. Il est également consultant et enseigne le Droit des Médias dans différentes Universités au Burundi.

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[1] Association pour la promotion et la protection de la liberté d’expression, Guide de la presse burundaise, 1996, p.6

[2] NDARISHIKANYE (B.) et DUPAQUIER (J.P), Burundi, le venin de l’intolérance, Etude sur les médias extrémistes, RSF, 1994.