Burundi
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Nominations à la Cnidh : Une gifle pour l’Assemblée nationale

Un décret portant nomination de certains membres de la Commission nationale indépendante des droits de l’Homme (Cnidh) est tombé le 3 avril dernier. Coup de théâtre : la composition du bureau exécutif est différente de celle approuvée, le 9 janvier par l’Assemblée nationale. Erreur ou spéculation politique ?

« Juridiquement, cela ne se fait pas. C’est contraire à la loi régissant la Cnidh ainsi que les principes de Paris », juge H.N., un observateur qui suit de près ce dossier. Selon lui, les commissaires doivent être élus par l’Assemblée nationale et nommés par le président de la République. « Si le chef de l’Etat n’approuve pas le choix d’un commissaire, on doit refaire le vote. Ce qui n’a pas été fait. »

Le 9 janvier 2023, l’Assemblée nationale s’est réunie en plénière pour approuver 5 nouveaux commissaires de la Cnidh en remplacement à d’autres qui venaient de terminer leur mandat. Quinze candidats ont été sélectionnés dont 9 candidats d’ethnie Hutu (7 hommes et 2 femmes) et 6 autres d’ethnie Tutsi, dont 1 homme et 5 femmes. A l’issue du vote des députés, le choix s’est porté sur Sixte Vigny Nimuraba, Jacques Nshimirimana, Anaclet Nzohabonayo, Consolate Habimana et Anésie Mfatiyimana.

Dans la foulée, le Bureau exécutif de la Cnidh a été approuvé par l’Assemblée nationale, avec comme président Sixte Vigny Nimuraba, Anaclet Nzohabonayo, Vice- président et Consolate Habonimana comme secrétaire. Lors du vote pour le poste de secrétaire, Consolate Habonimana a eu 96 voix contre une voix de sa rivale Anésie Mfatiyimana, ancienne sénatrice élue dans la circonscription de Makamba lors de la dernière législature (2015-2020). Mais, la gagnante, vice-présidente sortante de la Cnidh, a été évincée au poste de secrétaire.

Des questions fusent de partout

La gagnante Consolate Habimana a été préférée à Anésie Mfatiyimana pour le poste de secrétaire du bureau exécutif de la Cnidh.

« Est-ce une erreur de la part des services de la présidence ? », s’interroge H.N. « Est-ce parce que Mme Habonimana était en conflit ouvert avec le président de la Cnidh ? Mais, je ne pense pas que Sixte Vigny Nimuraba soit fort politiquement pour influencer les hautes instances », renchérit un autre activiste. Il pense que peut-être ceux qui ont donné le procès-verbal se sont trompés sur les noms. « Si c’est une erreur, il faut la corriger au plus vite. Si ce n’est pas le cas, c’est une faute grave. Cela devient un vice de procédure. C’est préjudiciable à la commission, car elle ne respecte plus les principes de Paris. Le risque est imminent qu’on perd le Statut A. Ceci remet en cause son indépendance. » Selon cet activiste, le mandat d’un commissaire est irrévocable lorsqu’il a été déjà élu par l’Assemblée nationale. « Le décret est une formalité, car les commissaires ne peuvent pas prêter serment devant le président de la République sans qu’il y ait un décret. »

Pour nombre d’observateurs, des considérations politiques auraient pris le dessus dans ce dossier. « Anésie est beaucoup appréciée au sein du parti Cndd-Fdd que Consolate. Cette dernière représentait les confessions religieuses, car elle avait été envoyée par l’Eglise du Rocher. De plus, le mari d’Anésie est le petit frère de l’actuel secrétaire général du parti au pouvoir Révérien Ndikuriyo », confie une source au sein de la Cnidh.

Plusieurs défenseurs des droits humains s’inquiètent des retombées de cette décision. « Si l’opinion nationale et internationale découvre que la commission est sur le point d’être politisée à ce point, les points de la Cnidh vont chuter. Ça tombe mal vu que la 43ème Session de l’examen périodique universel a commencé ce lundi dernier. Ils n’auraient pas dû faire cela. Ils viennent d’enterrer la commission », souligne un activiste. « De plus, c’est incroyable de confier ce poste de secrétaire exécutif d’une telle commission à une personne d’un niveau scolaire des humanités générales », renchérit un autre défenseur des droits humains. Contactée, Consolate Habimana n’a pas voulu s’exprimer.

Iwacu a essayé de joindre la Cheffe de Bureau chargé de l’information, de la Communication et du Porte-Parolat du Président de la République du Burundi le porte-parole du président de la République, Rosine Guilene Gatoni, en vain. De même que la Secrétaire nationale chargée de l’information et de la communication, Nancy Ninette Mutoni.

Tatien Sibomana : « Le bureau qui n’est pas légal. »

Se référant à l’article 11 de la loi portant création de la CNDHI, l’ancien député de l’Uprona estime que si les noms des personnes élues n’ont pas été changés à l’Assemblée nationale via son président, qui doit les transmettre au président de la République pour simple formalisation du décret, lequel n’a aucune possibilité d’opposer un changement, il n’y a aucun doute : « Il y a un vice de procédure. Et cela est attaquable devant la loi » Autrement, poursuit-il, le président de la République ou son cabinet peut ne pas avoir été vigilant en signant ce décret.

Et s’il advenait que cela ait été fait de façon volontariste, M. Sibomana explique que cela démontre noir sur blanc que l’article 11 ait été violé en connaissance de cause par les services de la présidence. « Sinon, aucune raison n’explique pourquoi le cabinet du président ne s’est pas référé aux noms transmis par l’AN conformément à l’issue du vote ». Loin d’être nationale et indépendante, ce politique se demande si cette commission pourra se prévaloir de revêtir un caractère rassembleur ou si elle est taillée à mesure du parti Cndd-fdd ou du président de la République ? Une chose est sûre : « Que ce nouveau bureau soit averti à temps. Cette nomination ne passera pas inaperçue aux yeux de Genève, et, il y a des risques qu’elle soit rétrogradée de son statut A ».

Aloys Baricako :  « Est-ce qu’au Burundi ces commissions sont réellement indépendantes ? Je ne crois pas. »

« S’il n’y a pas eu de consultations de la part du président de la République ou de désistement, il y a eu quand même un abus d’autorité, car l’Assemblée nationale avait déjà voté. Je crois qu’il faut respecter les élections comme telles », réagit le président du parti Ranac. Pour lui, si l’Assemblée nationale a décidé, le chef de l’Etat ne peut que s’incliner et respecter sa volonté, car le parlement est là à la place de la population.

Quid de la séparation des pouvoirs ? « Dans toutes les Constitutions africaines, la séparation des pouvoirs est reconnue. Mais en pratique, elle est inexistante. » Et de donner l’exemple du comportement du président l’Assemblée nationale burundaise : « On dirait qu’il est dans le gouvernement. Les descentes que le gouvernement est en train de faire à l’intérieur du pays, c’était le travail des parlementaires. C’est difficile de noter cette séparation qui est, par ailleurs, consacrée par la Constitution. C’est difficile de distinguer le rôle de l’Assemblée nationale et celui du gouvernement. » Le président du parti Ranac se pose une question : « Est-ce que vous avez déjà vu l’Assemblée nationale burundaise initier une loi ? Elle attend toujours les projets de loi qui viennent du gouvernement. Ce qui est quand même bizarre. Etant là pour représenter le peuple, les lois d’intérêt général devraient émaner des parlementaires. De plus, nous n’avons jamais vu une loi initiée par le gouvernement, refusée par les députés. » Pour lui, si c’était une Assemblée nationale, au vrai sens et qui travaille pour le peuple, elle protesterait pour ce cas de la Cnidh, car c’est une ingérence. « Mais, souvenez-vous des ministres qui passent devant le Parlement. Avez-vous déjà vu leurs comportements ? Souvent, ce sont des comportements qu’il faut critiquer. Normalement, on arrive devant le Parlement avec respect, mais nos ministres y vont avec arrogance. »

Sur l’indépendance de la Cnidh, Aloys Baricako s’interroge : « Est-ce qu’au Burundi ces commissions sont réellement indépendantes ? Je ne crois pas. Elles sont à la merci de la politique gouvernementale. Elles respectent la volonté du gouvernement en place. Dans la Constitution, elles sont indépendantes, mais ça reste théorique. »

Concernant la perte du Statut A, M. Baricako nuance : « Le Statut A comporte plusieurs points. Il y a des choses à positiver comme la volonté du président de la République de lutter contre la corruption et les malversations économiques et autres initiatives. Sur le cas présent, c’est une erreur qui s’est glissée et nous pensons que ça ne se reproduira pas. »

Abdul Kassim : « Les prérogatives du pouvoir exécutif ne l’autorisent pas à s’ingérer dans le fonctionnement des autres pouvoirs. »

« Je pense qu’il faudrait d’abord consulter la liste qui a été transmise à la table du président de la République, car je ne trouve pas de raison qui amènerait le président de la République, qui est un homme de loi, à commettre une telle erreur », indique le président du parti Upd-Zigamibanga. Il est persuadé que le chef de l’Etat a été induit en erreur par « une main cachée. »

Pour Abdul Kassim, le principe de séparation des pouvoirs est un principe sacro-saint de gouvernance. « Bien évidemment, la Constitution donne plus de pouvoir à l’Exécutif qu’aux autres pouvoirs. Néanmoins, les prérogatives qu’a le pouvoir exécutif sur les autres ne l’autorisent pas à s’ingérer dans leur fonctionnement. »

Pour lui, la Cnidh reste indépendante du fait qu’elle ne travaille pas sous la supervision de l’Exécutif. « Je considère que le cas cité n’est qu’un incident isolé de son mode de fonctionnement. Bien évidemment, ce cas devrait être corrigé. » Il exhorte les services habilités de vérifier le rapport des Votes avant la signature.

Kefa Nibizi : « Une violation flagrante de la loi. »

Le parti Codebu Iragi rya Ndadaye comprend mal comment une commission aussi forte, qui se dit indépendante et neutre peut comprendre dans ses rangs, de surcroît dans son bureau, une personne dont la nomination n’est pas issue du vote, tel que l’exige bien la loi. « Une aberration parce que cela enlève l’essence de sa raison d’être ».

Au risque que cela n’ait pas un cachet de l’implantation de la culture de la violation de la loi au plus haut sommet de l’Etat, M. Nibizi estime que la personne élue par le Parlement devrait être rétablie dans ses droits. Si jamais ce décret venait à être entériné, ce politique redoute que cela n’entache la crédibilité de la CNIDH. « Il est normal que ses partenaires techniques et financiers s’interrogent sur les motifs qui ont fait que le président de la République ne veuille pas prendre en considération les résultats du vote de l’Assemblée nationale ? »

Selon lui, le Parlement, qui a dans ses prérogatives le contrôle de l’action gouvernementale, devrait rappeler à qui de droit le respect de la loi. Dans le cas contraire, précise -t-il, cela serait une antivaleur, un contre-exemple qui serait en train de s’installer au plus sommet. Sinon, conclut-il, pareille nomination en faisant fi de la loi ne fait que ternir l’image de la Cnidh avec de grands risques de perdre son statut A.

Hamza Venant Burikukiye : « Le président de la République est suffisamment responsable pour agir en âme et conscience. »

Pour le représentant légal de l’Association Capes+, qualifier cette décision d’abus d’autorité reste une affirmation gratuite. « Plutôt, on devrait tout d’abord chercher les raisons à qui de droit. Le président de la République, quoiqu’humain, est suffisamment responsable pour agir en âme et conscience dans ses attributions. »
Pour lui, la séparation des pouvoirs est respectée au Burundi.

Hamza Venant Burikukiye trouve que ce n’est pas parce que les membres de la Cnidh sont nommés par décret qu’on pourrait douter de l’indépendance de cette commission. « La Cnidh reste constitutionnelle et est régie par des textes légaux. Son fonctionnement et sa gestion sont autonomes sans influence de qui que ce soit. Seules les réalisations de la CNIDH comptent et les préjugés n’ont pas de place. Donc, inutile d’influencer ni de polémiquer sur la 43ème Session de l’examen périodique universel, car c’est le professionnalisme qui sera mis en jeux. »

M. Burikukiye estime qu’il n’y a aucune raison de faire perdre à la Cnidh son statut A, car l’acte présidentiel, à part qu’il reste légitime, n’a rien avoir avec les réalisations de la Cnidh qui lui valent son statut.

Gustave Niyonzima : « Malheureusement, le président de la République a fait fi du respect de la séparation des pouvoirs. »

Gustave Niyonzima : « La situation des droits de l’homme demeure délétère au Burundi. »

« C’est un détournement de pouvoir que le président de la République a utilisé via ses pouvoirs à des fins autres que celles pour lesquels ces pouvoirs lui ont été légalement confiés », estime ce juriste et défenseur des droits humains. D’après lui, conformément à l’article 93 de la constitution, le président de la République est le chef du pouvoir exécutif et l’article 214 de la même Constitution exige qu’il doive y avoir le respect de la séparation des trois pouvoirs à savoir l’exécutif, le législatif et le judiciaire.

« Malheureusement, le président de la République a fait fi du respect de la séparation des pouvoirs alors que l’article 96 de la Constitution l’oblige à veiller au respect de la Constitution. » Et d’ajouter : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la Constitution, le pouvoir arrête le pouvoir, comme disait l’illustre Montesquieu dans son célèbre ouvrage intitulé Esprit des lois sorti en 1748. »

Bien que la loi accorde à la CNIDH son indépendance, poursuit Me Gustave Niyonzima, on voit une immixtion patente du pouvoir exécutif dans son engrenage et elle est loin d’atteindre de ce fait, son but. « Cette immixtion ternit de fond l’image du surtout que cela se fait au moment où se tient la 43ème Session de l’Examen périodique universel à Genève. Ça risque de compromettre même l’obtention du statut A de la Cnidh. »

Quid de la loi régissant la Cnidh ?
Article 7 : La Commission est composée de sept personnalités dont au moins trois femmes et comprenant :- un membre en provenance des ONG s’occupant des droits de l’homme en général;
– un membre en provenance des associations des droits de la femme;
– un membre en provenance des associations des droits de l’enfant ;
– un membre en provenance du corps professoral universitaire ;
– un expert qualifié en matière des droits de l’homme;
– deux membres en provenance des confessions religieuses.La Commission travaille à temps plein.

Article 8 : La Commission est composée de personnalités reconnues pour leur probité, leur intégrité, leur sens élevé de responsabilité et d’écoute, leur attachement à la cause des droits de l’homme, leur dynamisme, leur esprit d’indépendance et d’impartialité dans la prise des décisions.

Elles sont choisies dans un souci de représentation pluraliste et diversifiée des forces sociales, en veillant au respect des équilibres de la société notamment ethniques, régionaux et de genre.

Article 9 : Les candidats membres de la Commission sont sélectionnés sur base des candidatures libres par une commission ad hoc désignée par l’Assemblée nationale.

La Commission ad hoc est composée des représentants des groupes parlementaires présents à l’Assemblée nationale ainsi qu’un représentant de la communauté Batwa. Elle établit une liste définitive des candidats comprenant le triple des membres requis par corps d’origine.

Article 10 : La Commission ad hoc transmet la liste définitive des candidats à l’Assemblée nationale qui choisit les sept membres de la Commission ainsi que son Bureau.

Article 11 : Le président de l’Assemblée nationale transmet la liste des membres de la Commission élus ainsi que son Bureau au président de la République pour nomination.

Article 12 : Tout membre de la Commission doit remplir les conditions ci-après :

– être de nationalité burundaise ;
– être âgé d’au moins trente ans révolus ;
– jouir de ses droits civils et politiques ;
– n’avoir jamais été condamné pour crime ou délit sauf pour les condamnations résultant d’infractions non intentionnelles ;
– ne pas appartenir à un organe dirigeant d’une quelconque formation politique ;
– n’avoir jamais subi une interdiction professionnelle.