Burundi
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ENTRETIEN | « Il n’existe pas de postes “techniques” susceptibles d’échapper au contrôle des différentes composantes des forces “armées”

André Guichaoua, Professeur émérite à Paris 1 Panthéon-Sorbonne observe la situation politique au Burundi et dans la sous-région depuis de nombreuses années. Il estime que dans le contexte actuel, la déstabilisation du Burundi aggraverait plus encore les tensions dans la sous-région et les efforts engagés pour y remédier.

Comment avez-vous compris le changement auquel nous venons d’assister avec le limogeage du Premier ministre burundais ?

La situation économique et sociale qui prévaut au Burundi est catastrophique dans quasiment tous les domaines. Elle est certes liée à différentes contraintes extérieures relevant du contexte international et régional, à des contraintes naturelles et humaines (enclavement, “surpopulation” et hautes densités) mais cela n’explique pas pourquoi le pays se trouve durablement installé à la dernière place des classements internationaux (PIB par habitant, notamment). Malgré la “grâce” politique dont il a bénéficié depuis deux ans, le temps d’établir son autorité sur la sphère du pouvoir, le Président Ndayishimiye n’a pas été en mesure de desserrer l’étau politique des hiérarques du parti CNDD-FDD sur les institutions, ni d’alléger les contraintes économiques et sociales qui pèsent sur les populations paupérisées. Sur ce point, l’impuissance gestionnaire et la corruption des élites dirigeantes se conjuguent et s’affichent au grand jour. Dans ce contexte, en avril et juillet 2022, aucun événement, ni prises de paroles fortes du Président Ndayishimiye ne marquèrent politiquement le 50ème anniversaire du “génocide des Hutus“ ou les 60 ans de l’indépendance.

A votre avis, qu’est-ce qui pourrait changer dans la politique du Président Ndayishimiye ? Certains observateurs soulignent que c’est un homme du “sérail ” qui prend la place du Général Bunyoni. Alors, c’est un statu quo ou le Burundi pourrait-il connaître une nouvelle gouvernance ?

Dans le contexte manifestement contraint, selon l’intéressé, qui a entouré le changement de son Premier ministre, il n’est pas temps de se prononcer sur ces points.

Le poste de Premier ministre est considéré comme un poste “technique“. Aujourd’hui, c’est un militaire qui reprend la place d’un autre militaire. Le pouvoir politique est toujours détenu par des militaires, dénonce l’opposition. Est-ce que la mue du CNDD-FDD vers un parti qui ne serait plus dominé par les militaires est possible ?

Dans la conjoncture présente, il n’existe pas de postes “techniques” susceptibles d’échapper au contrôle des différentes composantes des forces “armées” (militaires, police, voire jeunesses partisanes).

Quant à la seconde question sur la mue du CNDD-FDD, il appartient plus que jamais au chef de l’État, “l’homme de synthèse” du “Conseil des sages” des officiers du CNDD-FDD d’y répondre. Enfin et en premier lieu, votre question ne peut se limiter à analyser les états d’âme au sein des forces de défense placées sous le contrôle étroit des militaires à la tête du CNDD-FDD, actuel parti unique de facto.
Il appartient à toutes les forces et composantes politiques et sociales burundaises de se mobiliser pour conforter, défendre l’expression d’exigences démocratiques et les libertés.

Est-ce que ce changement augure une nouvelle ère pour les relations du Burundi avec ses voisins, notamment la RDC et le Rwanda ?

Élu le 22 juillet dernier à la présidence de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), il est désormais une personnalité dont l’impuissance politique à l’échelle nationale, voire l’éviction de ses fonctions affecteraient fortement la réputation du pays déjà au plus bas sur le continent, voire au-delà. Dans le contexte actuel, la déstabilisation du Burundi aggraverait plus encore les tensions dans la sous-région et les efforts engagés pour y remédier.

Le nouveau Premier ministre est sous sanction de l’UE et des États-Unis, n’est-ce pas une mauvaise carte pour le Président Ndayishimiye d’avoir un Premier ministre qui n’est pas dans les bonnes grâces de la communauté internationale ?

Que fallait-il dire alors du précédent Premier ministre ? En août dernier, le Président Ndayishimiye recevait un soutien motivé de la Chine pour conforter la relance économique… Les corrupteurs associés de diverses nationalités qui participent à la prédation des richesses burundaises sont des familiers de ceux qui à l’intérieur leur en facilitent l’accès.
Le Président Ndayishimiye est confronté à un lourd défi qu’il saura certainement surmonter.

Propos recueillis par Antoine Kaburahe