Burundi
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Burundi/Rwanda – Incroyable : les frontières sont ouvertes et fermées !

Alors que les officiels burundais annoncent que les frontières burundo-rwandaises demeurent fermées, le reportage mené par Iwacu montre que les frontières ont bel et bien rouvertes. Une situation très étrange qui peut mettre en danger les citoyens des deux pays.

Vendredi 30 septembre. Des nouvelles faisant état de l’ouverture des frontières entre le Burundi et le Rwanda commencent à circuler sur la toile. Une vidéo où trois dames, des burundaises visiblement, se filment en train de traverser la frontière Kanyaru Haut, attire particulièrement l’attention.

A Iwacu, dès lundi, nous décidons de mener notre enquête.

Mardi 4 octobre. 11h30. Nous sommes à Bujumbura city market. Au parking de l’agence Mapasa, les clients se pressent nombreux pour réserver leurs tickets en vue du voyage de demain, mercredi. Ici, c’est la seule agence de voyage qui embarque pour le Rwanda. Un jeune homme en gilet jaune portant l’insigne de l’agence nous dirige vers le vendeur de tickets.

« Vous êtes de quelle nationalité ? », nous demande l’homme à l’accueil. Si vous êtes Burundais, nous dit-il, ça sera facile, vous payez juste 40.000 BIF pour le ticket. Et de nous préciser qu’il n’y a plus besoin du test Covid-19. Nous apprenons par la suite que le voyage prend fin à Kamembe (Au sud-ouest du Rwanda) et que ceux qui vont jusqu’à Kigali doivent prendre un autre véhicule.

« Depuis que les frontières sont ouvertes, nos tickets se vendent comme des petits pains. A l’heure où nous sommes, les places pour le véhicule de demain 6 heures sont déjà toutes réservées. C’est exceptionnel ! », témoigne le jeune homme au gilet jaune.
De l’autre côté de l’agence, les autres compagnies de voyage qui faisaient d’ordinaire le tronçon Bujumbura-Kigali-Kampala-Nairobi ne connaissent pas la même ruée. C’est ce que nous apprend un vendeur de tickets de l’un d’entre eux. « Nous n’avons pas encore l’autorisation de franchir la frontière rwando-burundaise ».

C’est la même chose pour les véhicules probox qui opèrent à Cibitoke. D’après un transporteur rencontré, seuls les véhicules des particuliers peuvent franchir la frontière rwandaise. « Les voyageurs en partance pour le Rwanda et qui utilisent nos services passent obligatoirement par la commune Rugombo et empruntent un autre véhicule jusqu’à la frontière »

« Du côté Kanyaru, le va-et-vient est de retour »

Selon la tenante d’un restaurant à Kanyaru-haut, la frontière burundo-rwandaise du côté Kanyaru a bel et bien rouvert. « Les gens vont et viennent à nouveau des deux côtés de la frontière. Seuls les documents de voyage sont exigés ».

Cette businesswoman précise en outre que l’autorisation pour voyager au Rwanda délivrée auparavant par le ministère des Affaires étrangères n’est plus exigée.

D’après elle, les services de l’OBR vont bientôt être opérationnels sur les lieux.

Mais surprise : Lors de l’émission des porte-paroles des institutions de ce vendredi 30 septembre, interrogé sur l’ouverture des frontières avec le Rwanda, le porte-parole Alain-Diomède Nzeyimana, a eu une réponse inattendue. « Le Burundi aspire à la normalisation des relations avec le Rwanda. Cependant, l’extradition des putschistes de 2015 est une des conditions sine-qua-none pour la consolidation de la coopération ».

Jointe au téléphone ce mardi 4 octobre, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération au Développement, Sonia Niyubahwe, nous a dit qu’aux propos du porte-parole du président de la République, elle n’avait rien à ajouter.

Le dimanche 2 octobre, c’est un tout autre discours qui s’est tenu de la part d’un membre influent du parti au pouvoir. Dans le cadre des marches-manifestations en hommage aux actions du président Evariste Ndayishimiye, Joseph Ntakarutimana, secrétaire adjoint du parti Cndd-Fdd, s’est félicité de l’ouverture des frontières. « Nous avons ouvert pour vous les frontières. Que ceux qui ont l’esprit fermé, l’ouvre pour se lancer dans le business »

Contacté, le ministre de l’Intérieur, de la Sécurité publique et du Développement communautaire, Martin Niteretse, s’est montré drôle. « Allez sur le terrain et faites le constat vous-même. De toute façon, nos discours n’iront jamais au-delà de ce que vous aurez vu vous-même »

Réactions

Gaspard Kobako : « Cette situation met en danger les citoyens.»

Pour le président du Cndd, les propos tenus par le porte-parole du président de la République relèvent d’une tactique de négociation du Gouvernement avec le Rwanda. « Nos autorités misent sur le fait que s’il y a un point sur lequel l’entente est impossible, elles puissent dire à la fin que de toute façon, elles n’avaient jamais autorisé la réouverture des frontières »

Gaspard Kobako considère que cette situation expose et met en danger les citoyens des deux côtés de la frontière. « Nos deux Etats peuvent maintenir leur bras de fer, mais imaginez si quelque chose arrivait à un citoyen de l’un de nos deux pays, qui assumerait ? »

Olivier Nkurunziza : « Nous sommes partisans du bon voisinage.»

« A travers les ondes des radios et des réseaux sociaux, nous avons appris que les populations peuvent franchir les frontières sans demander des autorisations », affirme Olivier Nkurunziza, président de l’Uprona. Il se réjouit de l’évolution des relations entre le Burundi et le Rwanda.
Pour lui, que le gouvernement burundais n’ait pas encore officiellement déclaré que les frontières sont ouvertes, cela relève de la communication politique. Ce qui est important, fait-il observer, c’est que diplomatiquement il y a encore à régler par rapport à ces putschistes que le gouvernement du Burundi réclame.

Et de préciser : « Peut-être que les deux pays se sont convenus de commencer à aider leurs populations qui n’ont rien à voir avec tous ces problèmes afin d’affranchir d’autres étapes ».
Le nouveau député de l’Assemblée législative de l’EAC encourage le gouvernement du Burundi de continuer à négocier avec le Rwanda, mais tout en soulignant qu’il y a encore des préalables pour résoudre leur différend. « C’est un problème de justice. Il y a des putschistes se trouvant sur le sol rwandais qu’il faut juger. Ce sont des choses négociables, mais qui n’empêchent pas que les populations des deux pays continuent à échanger des biens et des services », insiste-t-il.

Le président du parti du prince Louis Rwagasore fait savoir qu’on ne peut pas forcer le gouvernement du Burundi à déclarer officiellement que les frontières sont ouvertes. « Quand les populations franchissent les frontières sans problème c’est une étape très importante », tout en nuançant : « Mais il faut que l’ouverture soit officielle. Si ce n’est pas communiquer officiellement, les conséquences sont qu’on peut fermer comme on a ouvert. Il faut que les gestes de bonne volonté manifestée par les deux pays soient concrétisés dans les actes ».

Le président du parti du héros de l’indépendance plaide pour le rapprochement des deux pays frères. Et d’interpeller le président Evariste Ndayishimiye, en même temps président en exercice de l’EAC, de prendre le taureau par les cornes : « Comme la Charte de l’EAC le stipule, il doit tout faire pour que l’EAC soit une communauté commerciale où les échanges sont libres. C’est un pari à gagner qui doit figurer sur son actif ». Et de conclure : « Des négociations doivent continuer entre les deux pays pour qu’il y ait une ouverture solennelle et officielle des frontières.»

Kefa Nibizi : « Entretenir le flou ne fait que renforcer les doutes.»

Au niveau du Codebu Iragi Rya Ndadaye, il est clair que cette cacophonie témoigne à suffisance une divergence de vue sur la question de rouvrir les frontières ou pas. « Il n’y a pas l’ombre d’un doute qu’au sein  du Cndd-Fdd deux courants divergent sur la question : celui favorable à la réouverture effective des frontières et l’autre qui aimerait le statu quo », laisse entendre Kefa Nibizi, président du Codebu (Conseil pour la Démocratie et le Développement durable au Burundi).

Il tient à souligner que ce malentendu peut conduire à de très graves conséquences, si au plus haut niveau de l’appareil  gouvernemental, des contradictions persistent : « Cela serait très grave qu’un porte-parole d’une institution comme la présidence de la République déclare une  chose officiellement et qu’au même moment son contraire est en train de se faire  officieusement.» Si réellement les frontières ont été rouvertes, en vertu du principe de l’EAC, garantissant  la libre circulation des biens et des personnes, le gouvernement burundais devrait faire une annonce officielle. « Entretenir le flou ne fait que renforcer les confusions», a-t-il conclu.