Burundi
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Au Coin du Feu avec Dr Léonard Bivahagumye

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Dr Léonard Bivahagumye.

Votre qualité principale ?

L’humilité, je pense. Mais il est très difficile de se juger, c’est aux autres de le dire.

Votre défaut principal ?

Je suis anticonformiste

La qualité que vous préférez chez les autres ?

L’audace, la détermination.

Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?

La malhonnêteté

Qu’est-ce qu’il faut pour faire un bon médecin ?

Beaucoup travailler, mais à la base, il faut avoir de l’empathie.

Pourquoi avoir choisi ORL comme spécialisation ?

J’aurais pu faire une autre spécialité, on avait 3 choix : l’ORL était un challenge, une spécialité à la fois médicale et chirurgicale, pour enfants et pour adultes.

Dans une autre vie, quel métier auriez-vous aimé exercer ?

Sans doute, la médecine.

Vous vous intéressez également à l’addictologie. Comment devient-on accro à l’alcool, par exemple ?

J’ai effectivement passé un diplôme universitaire d’alcoologie. On devient accro à l’alcool en le consommant régulièrement, comme on s’attache à un ami en le fréquentant. Les symptômes, c’est ne pas pouvoir s’en passer, ou se sentir mal à l’aise quand on n’a pas consommé la substance.

Des médecins chômeurs au Burundi, n’est-ce pas inquiétant ?

Des jeunes au chômage, ce n’est pas bien. Des médecins au chômage, ce n’est pas bien non plus. S’il y a des jeunes au chômage, le contexte économique y est pour quelque chose. Le gouvernement devrait encourager l’entrepreneuriat et la promotion du secteur privé, pour que ce dernier contribue, aux côtés du gouvernement, à l’exploitation du capital humain disponible.

Des patients se plaignent de certains médecins spécialistes qui privilégieraient leurs cabinets privés plutôt que les hôpitaux publics dans lesquels ils prestent. Votre commentaire.

S’il fallait blâmer des médecins spécialistes, ceux qui « privilégient leurs cabinets privés » ne devraient pas être les premiers à blâmer. Ils soignent des gens, des Burundais pour la majorité. Ce sont des choix motivés, évidemment. Ces patients ont raison de s’inquiéter, mais c’est un débat qui est aussi bien entre patients qu’entre médecins, et même entre médecins et responsables des politiques de santé. Une solution devrait être initiée par le système de santé en collaboration avec les autres partenaires et le corps médical, avec l’organisation de la couverture des soins de santé par assureurs et autres tiers payants d’une part, via l’amélioration des conditions de vie du médecin d’autre part.

De plus en plus de médecins partent prester à l’étranger. Que peut faire le gouvernement pour arrêter cette « hémorragie » ?

Vivre chez soi est de loin mieux que vivre à l’étranger, y prester aussi. Partir est parfois un choix, parfois une contrainte. Tout choix implique un renoncement, un sacrifice.

De façon globale, l’amélioration des conditions de vie ou de l’environnement de travail freine les exodes de toutes sortes, c’est valable pour les médecins et pour les autres secteurs de la vie professionnelle.

Récemment nommé par décret professeur associé à l’Université de Clermont Auvergne. Quelle a été votre réaction lorsque l’on vous a annoncé la nouvelle ?

Une réaction de satisfaction. Ce à quoi je ne m’attendais pas, c’est l’engouement avec lequel les réseaux sociaux (du Burundi) se sont emparés de la nouvelle et en ont fait tout un fromage.

Si jamais vous étiez nommé ministre de la Santé, quelles seraient vos urgentes mesures ?

C’est une question que je ne me suis jamais posée, être ministre n’a jamais été mon ambition. Le ministère est très vaste. Les mesures que je chéris sont celles dont le but est de permettre un accès intégral de la population à des soins de qualité. J’ai parfois apporté des contributions dans ce sens, dans le secteur où je prestais.

La femme que vous admirez le plus ?

Sans hésiter, ma mère.

L’homme que vous admirez le plus ?

Nelson Mandela

Quel serait votre plus grand malheur ?

La solitude absolue.

Votre plus beau souvenir ?

Le jour où je suis devenu médecin, un certain après-midi du vendredi 1er septembre 2000. C’était pour moi l’aboutissement d’un parcours, le début d’une carrière. J’étais fier de l’avoir fait pour moi, mais également pour ceux qui m’avaient soutenu : mes parents, mes frères et sœurs, etc.

Votre plus triste souvenir ?

La mort de mon père, un lundi du 4 janvier 2016, en début d’après-midi. J’avais cette impression qu’il y avait toujours ces moments qu’on aurait pu partager, des choses qu’on aurait encore pu se dire. C’était comme s’il gâchait un programme ou un rendez-vous. J’avais un fort sentiment d’un passage au goût inachevé.

Votre passe-temps préféré ?

Faire une partie de « Tic Tac Boum », « Uno », … avec ma femme et mes enfants, assis autour d’une table ou à même le sol, et causer à bâtons rompus. Parler de souvenirs ou se remémorer des anecdotes entre nous, rivaliser à faire des vannes et en rire.

Votre lieu préféré au Burundi ?

Ma colline natale, Kigina-Mugomera, c’est ma colline natale, en zone Vyuya, de la commune Mugamba, sûrement en raison des souvenirs d’enfance qu’elle fait ressurgir, mais que je ne peux rematérialiser.

Le pays où vous aimeriez vivre ?

Le Burundi.

Le voyage que vous aimeriez faire ?
Zanzibar. L’on me dit toujours que c’est beau.

Votre rêve de bonheur ?

Avoir toujours près de moi les gens qui m’aiment et que j’aime

Votre plat préféré ?

Ubugari bw’ingano n’amata ( pâte de blé et du lait)

Votre chanson préférée ?

Queen of Sheba de Meddy ( chanteur rwandais)

Plus de 20 ans au chevet des malades en tant que médecin, quel est votre plus grand regret ?

Avoir vu une personne attendant de moi une solution, puis la voir mourir, sachant que je n’avais pas les moyens de la sauver.

Croyez-vous à la bonté humaine ?

J’y ai toujours cru, et j’y crois toujours. Cependant, il faut admettre qu’elle n’est pas absolue.

Pensez-vous à la mort ?

Tout le monde pense à la mort. J’y suis confronté en tant que médecin, car je vois des patients mourir, et d’autres attendre la mort. C’est une évidence. Mais, je dois dire que je pense très peu à la mienne. Devrais-je avoir peur d’y penser ? J’y suis confronté en tant qu’humain, car on perd des amis, des membres de la famille et des inconnus meurent de guerres, de maladies ou de catastrophes naturelles.

Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?

« Merci pour ma vie et ce que tu fais pour moi. Tu es trop fort (intelligent) ! La nature est tellement complexe, et c’est ton œuvre. Tu es trop bon ! Tu accordes la joie aux bons et aux méchants. »

Je lui dirais néanmoins qu’il est quelque peu injuste ! Pourquoi donne-t-il la liberté aux injustes de perpétrer l’injustice ?

Propos recueillis par Hervé Mugisha