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[Vie chère au Gabon] Ibrahim Tsendjiet Mboulou : «C’est encore plus grave !»

Ibrahim Tsendjiet Mboulou, président de l’Organisation gabonaise des consommateurs (OGC), a été abordé au sujet de la vie chère au Gabon. Revenant sur les résolutions des Assises nationales contre la vie chère, telles que la réduction des coûts dans la parafiscalité ou la promotion des produits locaux, il ne critique pas moins le manque de suivi des recommandations des travaux d’avril dernier.

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Ibrahim Tsendjiet Mboulou est le président de l’Organisation gabonaise des consommateurs (OGC), association de défense et de protection des droits et intérêts des consommateurs et usagers en République gabonaise, créée le 31 juillet 2003.

GabonReview : Peu après l’arrivée du nouveau Premier ministre, le gouvernement a organisé des assises sur la vie chère. Cette problématique est-elle une réalité au Gabon ?

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Ibrahim Tsendjiet Mboulou : En effet, le Premier ministre a pris, pour l’un des points principaux de son magistère, la lutte contre la vie chère et l’a placée au premier plan de son action gouvernementale. Le gouvernement a d’ailleurs créé un ministère dédié la Consommation et à la Lutte contre la vie chère. Cela voudrait donc dire qu’il s’agit d’une réalité et que le gouvernement a pris à bras le corps le problème. Il est visible et c’est une réalité dans ce pays. C’est cet effet que le gouvernement, les partenaires sociaux, les associations des consommateurs se sont réunis pour débattre de cette question.

Mais avant de parler de la vie chère en tant que tel, celle-ci est corolaire de quoi ? Quelle est la cause de la vie chère ? Eh bien, ce qui provoque la vie chère c’est l’inflation. L’augmentation des prix sur une longue période provoque l’inflation. Les causes de celle-ci sont multiples : il y a des causes endogènes ou internes et des causes exogènes, donc externes. Parmi les causes internes, il y a le fait que le pays ne produit pas, pour ce qui est des produits alimentaires voire les autres produits. Le Gabon importe presque tout. Dès ce moment, si vous ne maitrisez pas la production de votre consommation locale, vous dépendez de l’extérieur et donc vous n’avez pas la maitrise de la production, de la distribution… et donc souvent de la cherté des produits.

Vous déclinez là de la théorie économique. Est-ce que pour le Gabonais, la vie chère est une réalité ?

En ce qui concerne le Gabonais, il va aussi falloir distinguer et faire un peu de théorie, du moins sur les catégories. Il y a des Gabonais qui avaient un pouvoir d’achat et qui peuvent ressentir la vie chère aujourd’hui. Et il y a des Gabonais qui sont des consommateurs, mais qui n’achetaient pas. Parce que consommateur ne signifie pas toujours quelqu’un ayant la possibilité d’acheter, mais c’est celui qui peut consommer sans avoir acheté aussi. Mais il peut ressentir la vie chère dans la mesure où ceux qui avaient l’habitude de lui donner ne donnent plus, ou que leur capacité à lui venir en aide a été réduite.

La vie chère peut donc se ressentir dans tous les domaines aujourd’hui. Et, lors des Assises de lutte contre la vie chère, le gouvernement avait arrêté cinq thèmes : vie chère sur le plan de la santé et de l’éducation ; vie chère sur le plan du logement et de la construction. On a parlé aussi de la vie chère sur le plan de la parafiscalité et de la vie chère sur le plan de l’alimentation et la restauration.

Voici les différents pans qui ont servi de discussion concernant la vie chère. La vie chère est une réalité. Les populations, le gouvernement, tous les acteurs le savent. Maintenant, il faut trouver des solutions pour venir à bout de ce phénomène.

Au titre de solutions proposée par les Assises contre la vie chère, pouvez-vous, de mémoire, énumérer quelques-unes ?

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Comme solutions notamment, il fallait diminuer un certain nombre de coûts dans la parafiscalité. Puisque nous nous approvisionnons à l’étranger, notamment au Cameroun, au Congo. Dans les corridors avec ces pays, plusieurs contrôles s’effectuent. Rien que pour le corridor charriant les flux avec le Cameroun, on a dénombré 44 contrôles, dont 20 étaient payants. Il faut déjà annuler tous les contrôles payants qui n’ont pas de raison d’être parce que nous sommes un pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) et ces produits alimentaires notamment viennent des pays de la Cemac. Il n’y avait donc pas de raison que les contrôles puissent être payants.

Entre autres solutions, il faut diminuer la TVA sur un grand nombre de produits que l’État doit subventionner, et compenser la TVA ainsi diminuée dans l’eau et l’électricité. Il s’agit donc de diminuer la TVA sur les 48 produits de la mercuriale. Et maintenant, sur les produits importés, il y a beaucoup de difficultés, comme ce que j’ai déjà énoncé plus haut, liées à l’approvisionnement à l’étranger.

Les centrales d’achats font ce qu’elles veulent et ne nous présentent peut-être pas les vrais documents prouvant l’authenticité des lieux d’approvisionnement ni ce qu’elles paient réellement. À partir de leurs documents, on ne peut pas dire que c’est ce qu’elles paient réellement pour taxer autant. Mais on sait qu’il y a le transport, il y a la Rusid [Redevance d’utilisation du système Informatique de la Douane – ndlr] au niveau du port. Il y a aussi les différents contrôles au port. Tout cela obère le pouvoir d’achat et, je me souviens que d’Owendo à Akanda, nous avons comptabilisé 14 contrôles. Et pour tous ces contrôles, l’importateur ou le commerçant doit payer quelque chose. Voyez-vous, tout ça est répercuté sur les prix et obère le pouvoir d’achat. Il faut donc éliminer tous ces postes de contrôle.

Autre solution en ce qui concerne les produits alimentaires : il faut encourager les producteurs locaux à travers de petites foires et fixer les prix, non plus sur la vente au tas, mais au kilogramme. C’est plus juste et équitable. On a déjà parlé de la diminution de la TVA sur un certain nombre de produits, mais il faut également organiser la consommation locale à travers les produits locaux et mettre en place une mercuriale. La loi a fixé ce qu’il faut faire, mais on n’a jamais mis en application la loi n°2963 qui fixe les prix en République gabonaise. Cette loi existe depuis. Maintenant, c’est le consommateur qui doit jouer l’arbitrage au niveau des prix.

Au terme des assises d’avril dernier, un Comité de suivi ou un Comité de mise à exécution des recommandations a-t-il été mis en place ?

Tout à fait ! Au sortir des assises, tous ces Comités, annoncées, devaient être mis en place. Mais le gouvernement n’a pas communiqué par la suite sur ces entités. C’est donc de la responsabilité du gouvernement. Le Premier ministre avait lui-même promis la mise en place d’une grande commission qui devait regrouper l’ensemble des acteurs qui suivent la problématique de la lutte contre la vie chère. Ça n’a pas été fait. Or, pendant qu’on tenait les assises, la flambée des prix avait atteint son paroxysme.

Mais trois mois après, c’est un scandale ! C’est plus grave encore. On a même enregistré une pénurie de sucre, par exemple. Et le prix de ce produit a flambé. Nous sommes à 1500 FCFA, le paquet alors que le prix officiel reconnu est de 925 FCFA. C’est vraiment énorme.

Nous avons le cas du riz. Dans la mercuriale sur laquelle nous avions 48 produits, le riz éléphant, dit «riz de poule» ou «riz de pauvres», n’existait pas. En réalité, ce riz était là, mais qu’est-ce que les commerçants ont fait ? Ils ont privilégié le riz dit «parfumé» parce qu’ils ont plus de bénéfice sur celui-là. Donc, aujourd’hui, on a ramené ce riz ordinaire sur la mercuriale.

Les informations que nous avons de la part de l’administration, c’est que bientôt une deuxième mercuriale va être élaborée pour renforcer la lutte contre la vie chère. Le but de cette mercuriale, ce n’est pas de diminuer, réduire les prix, mais de stabiliser les prix à un niveau. L’objectif de la mercuriale, c’est cela. Parce que la population pense que lorsque nous nous réunissons pour mettre en place une mercuriale, cela a pour but de diminuer les prix. Non ! Il s’agit de les maintenir à un niveau où l’administration peut procéder aux contrôles au cas où les commerçants dépassaient ou vendaient au-dessus du prix exigé.

Trois mois après lesdites assises, faites-vous des pointages ou des contrôles de prix sur le marché pour évaluer la dynamique du pouvoir d’achat du Gabonais ? Y a-t-il une évolution positive ?

Nous attendons toujours effectivement, trois mois après, l’effectivité des mesures ayant été prises pendant les assises nationales de lutte contre la vie chère. Le gouvernement, l’administration n’a rien fait jusqu’à présent. Tout le monde attend. Mais malheureusement, les prix prennent l’ascenseur, les prix flambent de plus en plus. Nous avons parlé du sucre, nous parlons également du riz. On peut parler également de l’huile. Pour l’huile, les choses ont été effectivement maitrisées. Mais les opérateurs économiques, les importateurs et les commerçants, revendeurs, ont contourné la difficulté en dissimulant l’huile produite localement et en ne vendant que l’huile d’importation puisqu’elle n’est pas concernée par le contrôle.

Cette huile-là leur fait gagner des marges de bénéfices. C’est comme ça que ça fonctionne. Nous allons ici dénoncer les Gabonais qui ne réagissent pas. Il y a un numéro vert et si ce numéro vert n’est pas parfois fonctionnel, c’est que l’administration ferme à une certaine heure, alors que les associations des consommateurs sont opérationnelles. Ils devraient nous appeler sur nos numéros. Et chaque fois qu’ils nous appellent, on relaie tout de suite le message à l’administration. Ils devraient donc réagir. J’impute le tort fait à nos chers consommateurs qui ne sont pas encore réactifs.

Deuxième chose, c’est que l’administration aussi fait dans la complaisance. Elle ne fait pas de contrôles comme il le faut ou ne réagit pas, soit par manque de moyens techniques, logistiques ou d’agents, même si on ne peut tout de même pas avoir un agent devant chaque boutique. Voilà quelques facteurs qui font que le marché n’est pas vraiment surveillé et, dans ces conditions, les commerçants peuvent faire ce qu’ils veulent.

Est-ce qu’il y a un aspect du sujet que vous auriez voulu absolument aborder mais sur lequel nous ne vous avons interrogé ?

Nous avons pratiquement dit l’essentiel par rapport à la vie chère. Nous pouvons aborder la téléphonie mobile, où nous dénonçons le fait que l’administration, au lieu d’appeler les organisations légalement établies, veut traiter avec l’informel et finalement rien ne bouge. Les problèmes sont les mêmes. A titre d’exemple, on a parlé récemment du «mode avion» au Gabon par rapport à la cherté des tarifs de l’internet et des prestations en téléphonie mobile. Mais les choses n’ont pas changé. On a toujours des pertes d’appels. On a toujours de l’arnaque, et nous avons toujours l’internet qui coute cher tandis que le débit reste insuffisant. Tout cela participe au maintien ou à la permanence de la vie au Gabon.

Interview réalisée par Van Kenny Malongo (stagiaire)