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«Retour à Séoul» de Davy Chou, le coup de cœur du Festival de Cannes 2022

C’est l’histoire vibrante d’une jeune femme jadis adoptée en Corée par des parents français. « Je faisais ce film en résistance par rapport à certains clichés du voyage au retour aux sources », explique Davy Chou, 38 ans, l’approche de Retour à Séoul, présenté en sélection officielle du Festival de Cannes. Chi-Min Park incarne le personnage de Freddie sur grand écran. Un moment de grâce. Entretien croisé.

Davy Chou est né en 1983 à Fontenay-aux-Roses, en région parisienne, mais il incarne l’espoir d’un renouveau du cinéma cambodgien, avec ses films très remarqués, mais aussi par rapport à sa filiation en tant que petit-fils de l’un des plus grands producteurs de l’histoire du cinéma au Cambodge, Van Chann.

Pour son actrice principale, Chi-Min Park, c’est son premier rôle. Née à Séoul, elle arrive à Paris à l’âge de 8 ans. Aujourd’hui, elle y travaille en tant qu’artiste plasticienne. Pour Retour à Séoul, elle donne vie au personnage de Freddie avec une énergie débordante, une véritable symphonie d’émotions et une beauté qui s’ignore, mais crève l’écran.

RFI : La première mondiale de votre film Retour à Séoul dans la prestigieuse section Un certain regard a provoqué une standing ovation d’une quinzaine de minutes dans la grande salle Debussy du Palais des Festivals. Avez-vous le sentiment d’avoir été « adopté » au Festival de Cannes ?

Davy Chou : [Rires] J’ai déjà eu deux films, un court métrage et un long métrage à la Semaine de la critique, qui ont été montrés à Cannes. Évidemment, c’est de plus en plus impressionnant. L’applaudissement après la projection nous a énormément touchés, toute l’équipe. Quand on fait un film, on espère toujours toucher les gens. C’est un film avec une histoire difficile, compliquée, avec un personnage qui n’est pas facile non plus et dont on ne cache pas les facettes plus dures, colériques, parfois méchantes. En même temps, c’est un personnage qui me touche profondément. Tout cinéaste espère de toucher les cœurs de gens. Ces applaudissements nourris, j’imagine, c’est parce que le personnage de Freddie a touché le cœur des gens. Du coup, je rends aussi hommage à mes acteurs et à mon équipe, parce que ce qu’ils ont donné dans le film a été reçu par le public.

Vous avez écrit et réalisé ce scénario autour de cet enfant adopté. Qui est Freddie ?

Davy Chou : Freddie est une jeune femme de 25 ans qui est née en Corée et qui a été abandonnée puis adoptée en France. Elle a grandi en France. L’histoire commence quand elle retourne, à l’âge de 25 ans, pour la première fois dans son pays, le pays où elle est née, le Corée du Sud. Elle part pour deux semaines en vacances, sans arrière-pensées, sans idées dans la tête, et surtout pas avec l’idée de rencontrer ses parents biologiques. Ce n’est pas du tout ce qu’elle recherche. Or, après quelques jours, elle se retrouve face à face à son père biologique et à sa famille. À ce moment, les choses prennent un détour assez surprenant, et un peu différent de ce qu’on attend habituellement d’un film sur l’adoption. Nous suivons ce personnage sur plusieurs années.

Vous êtes artiste plasticienne, vous n’êtes pas actrice professionnelle. Comment avez-vous fait pour comprendre l’intérieur du personnage Freddie ?

Chi-Min Park : Je pense que j’ai beaucoup de points de similitudes avec le personnage. De ce qu’elle a traversé, de son histoire et de ce qu’elle ressent, ses émotions. Ainsi, je me suis emparée du personnage dans le sens où cela a été vraiment une rencontre entre le personnage écrit par Davy et ma propre expérience, mes propres émotions et mes propres sentiments. En fait, cela a été très instinctif.  Il y a eu des moments où je n’ai pas eu à vraiment jouer, c’était beaucoup sur l’instinct.

Dans votre façon de filmer, vous restez souvent très longtemps sur le visage, comme si vous vouliez percer le secret qui réside à l’intérieur des protagonistes. Quelle est la chose la plus surprenante que vous avez trouvée à l’intérieur de Freddie et son père biologique, les deux personnes clés de l’histoire ?

Davy Chou : Ce film est assez différent de mon précédent film, Diamond Island, qui a été un peu la peinture d’une société, d’une jeunesse [au Cambodge], à un moment donné. Là, c’est vraiment le portrait d’un personnage. Le défi pour moi était comment faire ressentir aux spectateurs l’infinitésimal des variations émotionnelles d’un personnage. Un personnage qui, par ailleurs, passe par des extrêmes émotionnels : d’une très grande vulnérabilité à une très grande colère, parfois à une très grande brutalité et violence, et parfois il y a quelque chose de très opaque et fermé. C’est surtout Chi-Min Park, qui, par sa générosité, m’a donné ce que je cherchais. Il y avait juste parfois à poser la caméra sur son visage pour, du coup, le spectateur ait accès à l’intériorité et au mystère des sentiments. Je ne crois pas que cela soit très lisible, mais on sent tellement de choses qui bouillonnent en elle et qui viennent raconter l’histoire.

Qu’est-ce qui vous a étonné le plus par rapport à cette rencontre entre vous-même et le personnage de Freddie ?

Chi-Min Park : Question difficile. Beaucoup de choses m’ont étonné. Par exemple, quand j’ai compris qu’il y a des similitudes avec ce personnage, mais que ce ne sont pas que ces similitudes qui ont fait que j’ai réussi à jouer ce personnage. Ce qui m’a le plus étonné, c’était quand j’ai eu ce moment de « grâce », le juste milieu entre le personnage et moi. Quand je me suis rendu compte que je jouais des choses ! Et que je n’étais pas seulement juste moi. Cela était très fort. Il y avait des moments où je me disais : oh, je suis en train de jouer !

Lors de votre montée sur scène avant la projection de votre film, vous nous avez confié que la générosité de vos acteurs, et en particulier de votre actrice, vous a transformé. Quelle sorte de transformation avez-vous vécue ?

Davy Chou : Ce rôle que j’ai écrit est inspiré de l’une de mes meilleures amies qui a vécu cette histoire, de la même sorte que Freddie. En 2011, j’avais la possibilité de l’accompagner, nous avons rencontré son père biologique. Elle l’avait rencontré pour la troisième fois. C’est cela qui a inspiré le film. Après, j’ai écrit le film, un peu inspiré par elle. Puis, il fallait trouver la comédienne. J’ai trouvé Chi-Min Park, qui est une artiste. Elle n’est pas comédienne. C’est la première fois qu’elle joue au cinéma. En discutant avec Chi-Min, en faisant des essais, très vite, je savais qu’elle pouvait tout jouer, mais cela lui coutait énormément. En n’étant pas comédienne, en n’ayant pas de formation – la seule façon pour elle de jouer, c’était de se donner à 200 % dans chaque scène et d’aller au plus profond des émotions intérieures, sans se protéger, sans filet et en sautant à pieds joints dans le vide. C’est vraiment ça que j’ai reçu, que la caméra et le film ont reçu tous les jours. C’est un don énorme qu’elle m’a fait et qu’elle a fait au film et au personnage. C’est cela qu’on a accueilli.

Quand je dis que cela m’a transformé, je pense aux nombreuses discussions que j’ai pu avoir Chi-Min sur son personnage Freddie, par rapport au scénario, sur son rapport au genre, à la féminité, aux personnages masculins. Parfois, elle me reprochait de filmer les choses de ma perspective de réalisateur homme, n’ayant pas l’expérience du personnage. C’est cela aussi qui m’a transformé. C’est cet échange-là. Elle a aussi eu cette idée de me pousser parfois à bouger par rapport à des choses du personnage. Sans elle, on n’aurait jamais pu les changer.

Dans le film apparaît plusieurs fois l’expression « ma terre natale ». Qu’est-ce que cela veut dire pour vous ?

Chi-Min Park : Pour moi, c’est la Corée. Vu que je suis Coréenne. Je suis née là-bas, j’y ai vécu. Et je suis venue en France à l’âge de 8 ou 9 ans. Donc, ma terre natale, c’est la Corée.

Il y a cette scène où Freddie regarde dans le rétroviseur du taxi où elle aperçoit son père biologique. Dans le film, on apprend aussi qu’il y a eu plus de 200 000 enfants coréens adoptés après la fin de la Guerre de Corée en 1953. Avez-vous le sentiment que le cinéma reste souvent dans un regard de sens unique et ne regarde pas assez dans le rétroviseur pour lier le présent de ces enfants adoptés avec le passé, les racines ?

Davy Chou : Je pense que le film sur les racines et la quête des racines est quelque chose dont on entend souvent parler, c’est quelque chose d’actuel. Au contraire, on est souvent ramené à ça. Moi, par exemple, à 25 ans, je suis parti pour la première fois au Cambodge, le pays où mes parents sont nés. Un pays dont je ne connaissais rien. Tous mes amis me disaient : « Tu fais ton retour aux racines ». J’ai vraiment rejeté cela et je disais : « Non, ce n’est pas exactement cela ». Les gens mettaient mon voyage au Cambodge dans une case vraiment prédéfinie. Au contraire, je faisais le film en résistance par rapport à certains clichés du voyage au retour aux sources. Avec tout ce qu’on peut imaginer de mélancolie, de nostalgie, de révélation à soi-même. Les choses sont beaucoup plus complexes, beaucoup plus violentes parfois, compliquées aussi et demandent beaucoup plus de temps. C’est cela qui m’a intéressé.

Dans le regard de Freddie qui regarde son père, sans doute pour la dernière fois, dans le rétroviseur, il y a quelque chose d’une séparation fondamentale. Il dit que ce passé qu’on aurait peut-être accroché, il n’est pas « raccrochable ». C’est plutôt la tristesse de l’impossibilité parfois de raccrocher. Et moi, dont l’histoire familiale a été bouleversée par les Khmers rouges, et le fait que mes parents sont partis en France, et qu’une grande partie de notre famille est morte pendant le génocide perpétré par les Khmers rouges, c’est quelque chose que je ressens aussi très profondément.

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