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Plongée dans les mystères et les richesses des abysses

À l’occasion de la journée mondiale des océans, ce mercredi 8 juin, plongeons dans les grands fonds marins. Ils recouvrent plus de 60 % de la surface de la planète et pourtant, l'homme connaît mieux la surface de la Lune que les abysses de notre planète. Ces grands fonds marins, dernier espace inexploré de la Terre, suscitent un intérêt croissant et des enjeux géopolitiques, économiques et environnementaux.

Les grands fonds marins sont le plancher océanique profond, le sol sous l'océan. À moins 200 mètres, il n'y a déjà pratiquement plus de lumière. À partir de moins 1 000 mètres, c'est un monde de noir absolu, froid - entre zéro et quatre degrés Celsius. La pression est 100 à 1 000 fois supérieure que celle de la surface.

On y trouve des reliefs variés : vastes plaines, montagnes, volcans, canyons et fosses vertigineuses  -moins 11 000 mètres pour la fosse des Mariannes-, avec parfois des suintements froids ou des cheminées qui crachent des panaches extrêmement chauds de sulfures (les « fumeurs noirs »), des sortes de lac de saumure où la concentration en sel est très forte et des amas métalliques.

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« Les contraintes y sont telles que chaque fois que l'homme s'y aventure, c'est un exploit technologique et humain » écrivent les chercheurs de l'Ifremer. Mais malgré ces conditions extrêmes, la vie, bien que très rare, a su s'y développer, comme l'explique Éric Lesavre, vice-président du cabinet Advention qui vient de publier une étude sur les grands fonds pour la Fondation de la mer

Parfois luminescents, parfois translucides, parfois d’apparence monstrueuse, « il y a quand même quelques grands poissons et grands mammifères en dessous de -1000 mètres (connaissez-vous le blobfish ?), et tous les 10 km environ, il y a une carcasse de baleine ou de très grand requin ou de très grand poisson qui tombe de manière quasi intacte au fond et ça donne l’occasion à pas mal de vie de s’épanouir dessus. Plein d’organismes qui vont décomposer la carcasse ».

Intérêts pharmaceutiques et industriels

Près des fumeurs noirs notamment,  « on a pu aussi caractériser un certain nombre de formes de vie qui sont très différentes de ce qu’on trouve sur terre. Ça n’est pas de la vie basée sur de la photosynthèse, mais de la chimiosynthèse, par exemple. Des choses très différentes et très variées et dont on ne connait vraisemblablement que moins d’1 % », poursuit Éric Lesavre.

Les abysses, leurs mystères et leurs merveilles sont ainsi pour Sabine Roux de Bézieux, présidente de la Fondation de la mer, « la grande frontière de l’inconnu du XXIe siècle ». Pour l’instant, c’est « le Far West » dit-elle. « À la fois une zone qu’on ne connait pas, qui fait rêver, qui suscite toute sorte de fantasmes, un eldorado d’une richesse incroyable. En même temps, c’est une zone sans foi ni lois, dans laquelle le droit va prendre peu à peu sa place », alors que les progrès technologiques devraient permettent d’ouvrir la porte de ce monde sous-marin.

Les enjeux sont immenses. « Il y a des potentiels extrêmement importants en matière de santé », estime Vincent Bouvier, ancien secrétaire général de la Mer, organisme dépendant du gouvernement français. Les scientifiques espèrent y trouver les médicaments de demain : antibiotiques, anticancéreux, antidouleurs, etc. D’ailleurs, « 90% des brevets déposés aujourd’hui sur les ressources génétiques marines sont issus des sources hydrothermales », note le rapport de la Fondation de la mer et « 52% sont détenus par l’allemand BASF ».

Compétition internationale

Ces grands fonds marins sont aussi stratégiques au niveau militaire. « Il y a par exemple la protection des câbles sous-marins, poursuit Vincent Bouvier. La grande majorité de nos échanges ne passent pas par voie satellitaire mais par ces câbles. » Un impératif qui va nécessiter l’adaptation et l’évolution des marines nationales selon lui.

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Et puis c’est peut-être l’aspect le plus convoité des grands fonds marins, leur richesse en métaux et terres rares. Dans les amas sulfurés, les nodules polymétalliques ou les encroûtements cobaltifères, il y aurait d'immenses réserves de métaux et de terres rares. Ces minerais « stratégiques, sont indispensables à la transition écologique et numérique dans laquelle la planète s’est engagée. Ils entrent notamment dans la fabrication des batteries pour les voitures électriques, des éoliennes, des drones, ou bien des panneaux solaires », rappelle l’étude. La demande explose et l’Europe, notamment, cherche à gagner en indépendance face à la Chine qui lui fournit la quasi-totalité des terres rares qu’elle consomme.

L’ancien secrétaire général de la Mer en France, Vincent Bouvier, explique ainsi qu’aujourd’hui, les ressources minérales du fond des océans « font l’objet d’une très grande compétition au niveau international et de différence de conception entre les États. Certains grands pays ont d’abord des préoccupations économiques d’exploitation et d’autres, plus prudemment, mettent l’accent sur la protection de l’environnement et la connaissance ».

Environnement fragile et complexe

C’est ainsi que l’année dernière, lors du Congrès mondial de la nature, plus de 60% des États et agences étatiques avaient voté un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins. La France s’était abstenue. Désormais, les points de vue s’exacerbent, note la Fondation de la mer.

Car selon les scientifiques, l'exploitation de ces ressources minérales affecterait de manière irréversible cet environnement fragile et complexe qui a mis tant de temps à se développer. La pollution engendrée par le bruit et les nuages de sédiments auraient un impact sur la vie des grands fonds, et même peut être en remontant vers la surface, sur les espèces des eaux moins profondes, que nous connaissons et dont nous nous nourrissons. Autre conséquence possible : la libération du CO2 stocké sur le plancher océanique.

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Si dans leurs zones économiques exclusives (ZEE) respectives, les États sont libres d’organiser leur exploration ou leur exploitation. En revanche, dans la haute mer, c’est-à-dire au-delà de 200 milles nautiques des côtes, dans les eaux internationales, c’est à l’Autorité Internationale des fonds marins de décider. Les fonds marins y ont été déclarés « patrimoine commun de l'humanité » par l’ONU pour tenter de les protéger de la convoitise. Et pour Sabine Roux de Bézieux, présidente de la Fondation de la mer, il est important d'explorer et de comprendre avant d'exploiter.

« L’urgence est de protéger ces espaces avant qu’ils ne soient abimés. On sait l’état, aujourd’hui, des récifs coralliens ou des mangroves, il ne faut surtout pas que la même chose se passe dans les grands fonds marins »,  plaide-t-elle. « Nous encourageons la France et l’Europe à travailler pour proposer un moratoire sur l’exploitation des fonds marins parce qu'on ne sait pas aller puiser les terres et les métaux rares qui y sont sans causer de dommages irréversibles ». 

La course est lancée, dit-elle. Une trentaine de pays ont déjà des programmes d'exploration sous contrôle de l'Autorité internationale des fonds marins et les premières demandes d'exploitation ont été déposées.