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Juliette Cazes, la thanatologue qui soulève le voile de la mort

Juliette Cazes, 32 ans, a toujours été attirée par la mort. De ses quatre ans, petite fille passionnée de momies, à ses études en anthropologie, en passant par des expériences professionnelles dans les pompes funèbres, elle a construit sa vie pour en parler au plus grand nombre… sans jamais tomber dans le spectacle morbide.

La chaîne YouTube, tout comme le compte Twitter de Juliette Cazes, renvoient à un imaginaire de fantômes et d'âmes, de rites funéraires étranges et de tombes disparues, de parchemins et d'ombres. Nos croyances profondes s'éveillent, notre imagination passe la seconde et c'est normal, explique la chercheuse en souriant : « Étudier la mort draine l'imaginaire. Personnellement, je ne m'ennuie jamais. C'est un sujet que je ne trouve pas du tout triste, au contraire. » Mais derrière ce vernis se cache aussi un travail de fond sur les rituels funéraires et la mort en général, réalisé par une thanatologue documentée, éthique et didactique. À 32 ans, elle accompagne de sa voix off les vidéos de sa chaîne Le Bizarreum, consacrée aux rites funéraires et au rapport à la mort partout dans le monde pour le plus grand nombre.

Une vie tournée vers la mort

Juliette Cazes n'est pas une arriviste. Les rituels funéraires, elle les côtoie depuis longtemps. À quatre ans, passionnée par les tombeaux égyptiens, elle ne dit pas bonjour aux adultes, mais leur récite les trois noms des pyramides de Gizeh, avant de s'enfuir : « J'ai toujours trouvé les momies, les têtes réduites, superbes, même si je ne comprenais pas pourquoi elles étaient dans des musées ! Pour moi, c'était une ouverture vers un autre monde. J'avais déjà compris le concept de mort, parce que mes parents ne me l'ont jamais caché. »

Tabou dans un certain nombre de familles françaises, cette ouverture sur la mort lui vient de sa famille maternelle. Originaire d'Italie, elle a très tôt eu l'habitude d'être au contact des défunts. « De ce côté-là, les enterrements, c'est important. La mort est présente et c'est quelque chose de tout à fait normal. Recoiffer ces morts, les embrasser, c'est quelque chose de tout à fait naturel. Ils sont toujours avec nous, d'une certaine façon, peu importe la croyance », raconte-t-elle.

Naturellement, elle poursuit des études en anthropologie et en archéologie à l'université de Lyon 2, tout en développant ses connaissances sur les rites funéraires et le rapport de l'être humain à la mort. Mais l'argent vient à manquer, tout comme les perspectives. La jeune femme, qui travaille déjà depuis ses dix-huit ans pour payer ses études, décide de ne pas poursuivre la recherche : « Ça n'allait pas être possible, autant en termes d'emploi que pour financer mes études. Déjà que je faisais deux licences en même temps, plus des emplois étudiants à côté, de préférence dans les musées. »

Après un diplôme de tourisme en 2015, elle travaille en logistique d'expédition scientifique et de voyages, plus spécialement sur les volcans actifs. « Là aussi, c'est ultra-niche ! Ça m'a permis de voyager, d'aller voir de vrais volcans, c'était assez fou. Et à côté, je continuais à faire mes petites recherches sur mon temps libre. » La jeune femme profite de ces voyages pour découvrir de nouveaux rites funéraires et parler aux locaux de leurs rapports à la mort.

Un business mortel

L'idée de parler de la mort au grand public date de cette période. Peu de ses amis aiment en parler avec elle, et c'est une manière autant de vulgariser que de se délester d'un savoir qu'elle ne supporte plus de garder pour elle. « À part certaines pompes funèbres qui avaient éventuellement des blogs, des choses comme ça pour leur activité professionnelle, à l'époque, quand j'ai commencé, il n'y avait absolument rien pour le grand public et surtout il n'y avait rien comme je voulais le faire », explique la chercheuse.

Cinq années plus tard, Juliette n'organise plus d'expéditions scientifiques. Le Covid-19 a eu raison de son activité touristique. Un mal pour un bien : elle se consacre aujourd'hui à 100% à sa passion. Auto-entrepreneuse, son pseudonyme Le Bizarreum est devenu une marque déposée encadrant son activité, pour diffuser son savoir. Contraction de « bizarre » et de « museum », c'est une manière de répondre à ceux qui lui disaient qu'elle était bizarre lorsqu'elle parlait de ce qui l'animait. Près de 55 000 abonnés sur YouTube, 25 000 sur Twitter... Le sujet passionne. Elle sort son premier livre (Funèbre !, 2020, Éditions du Trésor) traduit en japonais cette année. Suivront deux ouvrages en 2022 et 2023. 

[Thread momie]
Aujourd'hui un petit thread momie parce que ça fait longtemps que je ne vous ai pas fait un petit défilé de tweets à thème ! En ce jour, on va parler d'une momie égyptienne pas du tout égyptienne 🤷🏻‍♀️ pic.twitter.com/S8Do3lJlH5

— Juliette Cazes (@lebizarreum1) July 23, 2021

Mais cette réussite n'a pas été facile. « On m'a reproché de ne pas mettre assez d'humour dans mes vidéos, on m'a parlé de mon physique, c'est pour cela que je fais de la voix off. Je veux qu'on se concentre sur le fond, pas la forme », résume-t-elle. Un choix gagnant : elle enchaîne les conférences, les vidéos, les publications scientifiques comme les interventions dans les médias. Poussant la logique jusqu'au bout, elle passe même un diplôme de conseiller funèbre en 2020, pour mieux connaître le terrain. « Pour moi, travailler avec les morts, que ce soit en pompe funèbre ou dans le cadre des sciences, ce n'est pas du tout quelque chose de glauque. Au contraire, je m'imagine ce qu'ils étaient de leur vivant et pourquoi on les a traités comme ça. »

L'éthique au cœur du travail

Néanmoins, parler d'un sujet aussi sensible nécessite des précautions. Trouver le juste équilibre pour parler de la mort sans choquer, tout d'abord : « Je ne suis pas psychologue, mais je suis obligée de prendre en compte la peur de la mort quand j'écris, pour ne pas traumatiser les gens et bouleverser leur affect ». Une balance à laquelle pense toujours la vulgarisatrice lorsqu'elle écrit ses vidéos ou ses fils Twitter.

D'ailleurs, Juliette Cazes ne souhaite pas obliger ceux qui ont peur de la mort à la regarder. En revanche, elle les encourage à réfléchir, pour savoir d'où vient cette peur : « Le fait de se bloquer, ça traduit peut-être soit une méconnaissance du sujet, parce qu'il y a des gens qui n'ont jamais été confrontés à la mort, qui redoutent ce moment-là, soit une expérience qui s'est éventuellement mal passée. »

D'autres questionnements éthiques viennent la traverser lorsqu'elle parle de rites funéraires étrangers. En témoigne le texte en introduction de sa vidéo sur les aborigènes. « J'ai essayé de faire au mieux en prenant des extraits qui avaient été validés par les populations à l'époque où ils ont été mis en archive sur le web, en masquant les visages, parce que les visages des morts, on ne les montre pas », explique la thanatologue.

De la même manière, jamais elle ne montrerait des images de funérailles célestes ou assisterait à ce rituel : « Ça entraverait la vie privée des gens. Il y a énormément de choses que je voudrais voir, bien entendu, au Tibet par exemple pour les funérailles célestes, mais je le dis dans mon livre : c'est quelque chose de problématique pour les locaux, donc je n'irai pas, comme je n'irai sûrement pas voir les momies de Papouasie et bien d'autres encore. »

Ce questionnement se retrouve aussi dans un sujet qui l'intéresse profondément : la question des charniers humains lors des conflits. « Comment la science va-t-elle "s'allier" avec les croyances locales ? Est-ce que l'on peut sortir des corps comme ça ? Est-ce qu'il y a un problème au niveau des croyances ? Est-ce que si on pense que l'âme est toujours là, le fait de déterrer un corps, même si c'est pour une enquête internationale, ça va gêner les proches ? », questionne la chercheuse.

Un exemple parmi les nombreux enjeux éthiques sur la mort qu'elle enseigne aujourd'hui ponctuellement à la faculté de Nîmes. La vulgarisation de Juliette Cazes, d'utilité publique, résonne fortement aujourd'hui, alors que la guerre en Ukraine et la crise du coronavirus ont remis les Occidentaux face à la mort.

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