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Journée internationale de la jeunesse: stop aux clichés sur les nouvelles générations

Les jeunes sont tous les mêmes : ils sont paresseux, abrutis par les écrans, isolés, insatisfaits, peu cultivés, détestent la politique... À l'occasion de la Journée internationale de la jeunesse, retour sur les clichés qui entourent une catégorie aussi floue que vaste, souvent pointée du doigt, rarement pour les bonnes raisons.

Le 12 août a été défini par l'ONU comme étant la Journée internationale de la jeunesse. Une manière de célébrer la nouvelle génération, généralement porteuse de tous les espoirs des anciennes, notamment en matière de crises écologiques. Paradoxalement, cela n'empêche pas les plus âgés de véhiculer de nombreux a priori envers les plus jeunes, dont voici cinq exemples.

« La jeunesse »

C'est le premier cliché. En 2022, la jeunesse rassemble pêle-mêle tous les individus qui ont entre 15 et 24 ans, c'est-à-dire nés entre 1998 et 2007… ou ceux qui ont entre 12 et 26 ans… ou tous ceux qui ont moins de 30 ans. « La jeunesse » ne veut rien dire. Le dictionnaire Le Robert tente de la définir comme étant le « temps de la vie entre l'enfance et la maturité. » Si l'ONU propose des études définissant « les jeunes » comme étant les personnes nées entre 12 ans (voire 15) jusqu'à 24  ans (voire 30), on voit bien que définir la jeunesse par l'âge est déjà une question complexe. L'enfance ne s'achève pas toujours à 15 ans, la maturité n'attend pas toujours 24 ans.

« La jeunesse » est également une aberration pour les sociologues. En uniformisant toute une tranche de la population sur la base arbitraire de l'âge, elle oblitère les différences sociologiques et économiques entre les groupes sociaux ou les individus. Inégalité d'accès à l'emploi, à la culture, aux biens de consommation, les différences entre les « jeunes » sont multiples au sein d'un même territoire. Il vaut donc mieux préciser « des » jeunesses.

Quelqu'un qui parle des « jeunes » parle souvent plus d'une jeunesse uniforme qu'il fantasme, basé sur son propre ressenti et son milieu, que d'une réalité sociologique.

« Les jeunes ne pensent qu'à eux »

Les jeunes seraient plus individualistes, s'engageraient moins pour les autres, dans la politique, dans les associations. Ce n'est pas le cas : l'investissement dans la cité n'est simplement plus le même qu'il y a 30 ans. Plutôt que l'engagement politique classique dans un syndicat ou un parti, les jeunes favorisent l'engagement dans des associations caritatives ou sportives et lors d'événements ponctuels, pour des manifestations ou sur les réseaux sociaux. La chercheuse à l'université Sorbonne nouvelle Sarah Pickard, parle ainsi de « do it ourselves politics », de « politique sur-mesure ».

Here is a short piece I wrote about
young people and political participation in France:
voting, abstaining, protesting and of course Do-It-Ourselves (DIO) politics
as part of Worldwide Blog Week
from the marvellous Intergenerational Foundation @inter_gen⬇️https://t.co/FhqZoQZxY1 https://t.co/6wgBmBi1X1

— Sarah PICKARD 🌳 (@sarahpickard2) July 19, 2022

D'autant qu'il n'est pas toujours aisé de s'engager lorsqu'on est jeune. Une étude réalisée au Canada en 2012 démontre qu'une grande proportion de jeunes « présente un potentiel d’engagement futur et que ce sont principalement des barrières temporaires qui réduisent leur niveau d’engagement ». Ces barrières temporaires sont le manque de temps et d'opportunité. Celles qui risquent au contraire d'empêcher durablement l'engagement des jeunes sont le rejet du système politique et l'absence de ressources politiques, comme le réseau ou le suivi de l'actualité du pays.

Pour ce qui est de la politique pure et dure, certes, l'abstention est très forte chez les jeunes Français. Mais cette désertion peut s'expliquer par l'âge des candidats en politique, 49 ans aux dernières législatives, par la communication encore vieillissante des politiques, bien que certains commencent à en prendre conscience, ou aux débats majoritaires qui peinent à intéresser les jeunes : retraites et pouvoir d'achat, sujet dont ils sont parfois exclus malgré eux.

J’ai adoré voir les réactions de ces grands privilégiés qui ne supportent pas de voir la jeunesse entrer en politique.

J’ai encore plus aimé votre soutien, vos messages et votre détermination.

Merci à vous et ne lâchez rien, ils n’ont encore rien vu, ce n’est que le début.🙏🏻

— Louis Boyard (@LouisBoyard) August 9, 2022

La difficulté d'accéder à l'engagement politique peut également être la cause de ce désintérêt. En France vivent près de 10 millions de jeunes âgés de 18 à 30 ans en 2020, sur 67 millions de Français. Ils représentent donc près de 20% de la population en âge de voter, mais ne sont pourtant représentés qu'à hauteur de 4% à la nouvelle Assemblée nationale : 25 députés sont âgés de moins de 30 ans pour 577 députés. Et c'est un constat qui ne se limite pas à la France. « Au niveau mondial, seuls 2,6 % des parlementaires ont moins de 30 ans, et moins de 1% de ces jeunes députés sont des femmes », rappellent les Nations unies sur leur site internet.

« Les jeunes ne veulent pas travailler »

Les employeurs français sont particulièrement touchés par les clichés compilés dans Gaston Lagaffe, une référence à une bande dessinée créée en 1957. Dans cette BD comique, Gaston est un jeune employé technophile qui va s'intéresser à de nouvelles choses innovantes, plus complexes à comprendre pour des gens plus âgés. Il a un intérêt ou une motivation sélective : la nouveauté l'intéresse, mais lorsque c'est moins original, plus laborieux, il se désengage. Il est écolo, trop aux yeux de son entourage plus âgé, et est très rétif à l'organisation d'une entreprise classique. Il a un manager, mais il ne respecte pas ses directives.

Jean Pralong, professeur de gestion des ressources humaines à l’EM Normandie, a longuement étudié les clichés sur les jeunes et l'emploi, et pour lui, Gaston Lagaffe résume la perception des employeurs : « difficilement gérable, créative, mais paresseuse, avec un intérêt variable pour des choses et surtout qui va s'intéresser à l'air du temps, l'écologie en particulier, y compris de façon déraisonnable. » Une spécificité bien française : dans d'autres pays, les recherches auxquelles a participé Jean Pralong montrent que les employeurs sont moins influencés par l'âge du candidat.

Pourtant, une enquête de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep) sur 23 000 jeunes français montre que trois ans après leur sortie d'étude, 85 %  mettent en priorité leur vie professionnelle, devant leur vie hors travail. Reste aussi la question des différentes jeunesses : en France, comme dans de nombreux pays, tout le monde ne part pas avec les mêmes ressources. Il sera bien plus simple de trouver un CDI pour un fils de cadre qu'un fils d'ouvrier. « Dans la recherche d'emploi, l'origine sociale fonctionne encore de façon à la fois puissante et fragmentée. Puissante, car elle explique le temps que le jeune va passer à accéder à un emploi stable. Fragmentée, parce qu'elle entraîne des variations à différents niveaux : niveau d'étude, qualité du stage, qualité du réseau », explique le professeur Pralong.

Les inégalités s'inscrivent aussi dans la vision du travail. D'après l'étude de l'Injep, les jeunes avec les positions professionnelles les plus favorables mettent en avant l'importance de l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Ceux avec une situation moins favorable insistent sur la sécurité de l'emploi et le salaire.

« Les jeunes sont tout le temps sur leurs portables »

Le temps passé sur les écrans est également un phénomène intergénérationnel. D'après une récente étude de Vertigo Research pour Le Figaro, les Français consacrent 60% de leur temps libre sur leurs écrans, tout âge confondus et les différences entre les générations ne sont pas significatives. Certes, les plus jeunes passent du temps sur leurs écrans, au moins trois heures et demie par jour, mais les plus âgés passent en moyenne trois heures par jour devant la télévision !

Fracture numérique : outre les jeunes, qui n'ont pas les moyens d'avoir un ordinateur, et les personnes âgées, l'exclusion numérique touche aussi le monde rural, un Français sur deux vivant hors des grandes villes n’estimant pas sa connexion satisfaisante. https://t.co/bNUnjJBbdo

— Romain Caillet (@RomainCaillet) May 13, 2020

Au sein des jeunesses, les inégalités sont grandes concernant l'utilisation en soi d'un téléphone. Comme le rappelle Nicolas Roux, maître de conférences en sociologie à l'université de Reims-Champagne-Ardenne, avoir un téléphone ou un ordinateur ne signifie pas savoir en maîtriser tout le potentiel. Rédiger correctement des mails, jongler d'une vidéoconférence à une autre, maîtriser les codes des réseaux sociaux et la recherche sur internet sont des variables qui changent grandement d'un jeune à un autre.

Sans compter les différences drastiques entre les pays en développement et les pays riches : les jeunesses au niveau mondial n'ont pas du tout le même accès aux smartphones selon leurs lieux de naissance. « En Tanzanie, par exemple, seuls 30% des 18-35 ans disent utiliser internet et/ou posséder un smartphone, contre 100% dans certaines économies avancées », rappelle ainsi le rapport Tendances mondiales de l’emploi des jeunes de l'Organisation internationale du travail, publié en 2020.

« Les jeunes ne sont pas cultivés »

Dernier cliché de cette liste non exhaustive, le rapport des jeunes à la culture : ils seraient moins intéressés par les activités culturelles. Les études vont pourtant toutes dans le sens contraire. D'après l'Injep, en 2019, chaque jeune réalisait au moins une fois dans l'année treize pratiques culturelles différentes, et 91% des jeunes créent même de la culture en faisant des vidéos, du théâtre, de la danse.

Pour ce qui est de la lecture, les jeunes Français, après avoir subi une baisse d'intérêt pour la lecture entre 1973 et 2008, se sont stabilisés et lisent autant qu'il y a dix ans. 78% des jeunes lisent donc au moins un livre par an depuis 2008. C'est un peu moins que la moyenne nationale, à 86%, augmentée par les catégories les plus âgées de la population.

Nope est vraiment prenant. Du début à la fin ce mystère constant autour de la menace, ainsi que la réaction et l'action des protagonistes face à celle-ci nous maintiennent en haleine. Le tout rythmé par une bande-son qualitative, des plans visuels vraiment beaux.

— Better Call Jo. 🌌🧋 (@Small_Hawkeye) August 10, 2022

Stéphanie Pourquier-Jacquin est maîtresse de conférences à l'Institut national supérieur de l'éducation artistique et culturelle (Insaac) et s'est intéressé à l'intérêt des jeunes de 18 à 25 ans pour le cinéma. « Le cinéma, c'est la pratique la plus partagée, c'est-à-dire qu'un étudiant va au moins une fois au cinéma dans l'année. »

Les pratiques culturelles sont également très diverses selon les jeunes, car parfois difficile d'accès : aller au cinéma, c'est plus simple en ville, bien que plus cher, qu'en campagne. La création du « passe culture » par le gouvernement français est, dans ce sens, salué par la chercheuse, même si elle insiste sur la nécessité de poursuivre les dispositifs d'éducation artistique et culturelle. « On voit que des étudiants qui ont bénéficié d'un dispositif d'éducation artistique et culturelle, à l'école, au collège ou au lycée, pour aller au cinéma par exemple, c'est quelque chose qui a du sens dans leur parcours de lycéen et qu'ils vont avoir envie de prolonger », conclut la chercheuse.

► À écouter : Classe départ, des jeunes se réinsèrent grâce à la danse, au chant et au théâtre