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Blocus d’Odessa: «Pour les pays qui ne reçoivent plus nos marchandises, c’est une question de survie alimentaire»

Presque immédiatement après le début du conflit en Ukraine, les forces russes ont imposé un blocus du port d’Odessa, dans le sud-ouest du pays. Cette infrastructure cruciale pour l’économie du pays et du monde permet d’exporter des millions de tonnes de denrées alimentaires chaque année. Mardi 24 mai, les chefs de la diplomatie américaine et ukrainienne ont notamment évoqué les moyens de faire sortir les céréales ukrainiennes du pays. Pour évoquer cette situation, notre envoyé spécial Sébastien Németh a interrogé Alla Stoyanova, cheffe du département agriculture de l’administration militaire d’Odessa.

RFI : Quelle est l’importance d’Odessa pour l’économie ukrainienne ?

Alla Stoyanova : La région d’Odessa, c’est la porte pour toutes les exportations du pays. C’est aussi une région à fort potentiel agricole. C’est la deuxième en nombre de fermes d’épuration, elle est première dans la production de raisin (71%), et leader pour la production de moutons. La plupart des céréales récoltées dans le pays partent aussi d’Odessa. L’Ukraine, c’est 10% des exportations mondiales dans ce domaine. Le pays est numéro un dans la production d’huile de tournesol par exemple.

Vous imaginez donc que tout monde était très inquiet lorsque le blocus a été mis en place. Il est là depuis le premier jour de la guerre. Mais nous faisons de notre mieux pour trouver des solutions alternatives. Nous avons réorganisé nos circuits pour pouvoir transporter notre production par train, par routes et en utilisant les petits ports fluviaux. En mars, nous avons pu exporter 200 000 tonnes. En avril, nous avons dépassé la barre du million. Pour mai, nous espérons atteindre 1,5 million de tonnes.

Est-ce que ces solutions alternatives sont suffisantes pour écouler votre production ?

Non, car notre potentiel total d’exportation équivaut à 5 millions de tonnes par mois. Bien sûr, tous les jours, nous essayons d’augmenter notre volume d’exportation. Mais ce n’est pas assez. L’an dernier, nous avons récolté 107 millions de tonnes de céréales, c’était une année record. Mais la consommation nationale de l’Ukraine ne dépasse pas 20 millions. Aujourd’hui, nous avons 25 millions de tonnes de marchandises sur les bras et dans trois semaines, il y aura une nouvelle récolte.

Quelle solution vous reste-t-il donc pour améliorer la situation ?

Aujourd’hui, nous n’avons que deux solutions si nous voulons reprendre l’exportation par voie maritime. D’abord, avec une victoire militaire de l’armée ukrainienne qui permettrait de débloquer le port. Ou alors, que les leaders du monde changent la donne et nous aident à libérer le site, même si ça veut dire à travers une intervention militaire [extérieure]. Pour l’Ukraine, c’est une question économique, et non de ressources alimentaires. Car nous produisons plus que ce dont nous avons besoin. Mais pour les pays qui ne reçoivent plus nos marchandises, c’est une question de survie alimentaire. Dans certains pays d’Afrique, des gens subissent une famine. Et n’oublions pas que l’ONU utilise nos céréales dans 50% de leurs missions.

Ce conflit dure depuis trois mois et il n’y a aucun bénéfice économique pour personne. Trois mois, c’est long. Aujourd’hui, l’Europe et les États-Unis comprennent que si cette guerre dure des années, ce sera une catastrophe pour tout le monde. D’abord pour ceux qui consomment nos marchandises. Mais aussi pour les pays d’Europe qui aujourd’hui accueillent nos réfugiés. L’Europe n’est pas préparée à garder les réfugiés au-delà de la fin de l’année. Son budget ne pourra pas le permettre.

Si nous pouvions exporter tout ce que nous avons, la situation serait bien meilleure. Mais pour le moment, notre économie commence peu à peu à être en difficulté. Les conséquences de ce blocus sont ressenties dans le monde entier. Il y a une inflation des produits alimentaires, de l’énergie. Si nous ne reprenons pas les exportations, alors que la prochaine récolte approche, nous aurons 80 millions de tonnes en plus sur les bras. Et il y aura une pénurie catastrophique dans le monde. C’est pourquoi on espère que la guerre se terminera cette année, avec l’Ukraine victorieuse évidemment.

Comment les agriculteurs ukrainiens s’en sortent-ils alors que leurs produits ne sont plus exportés ?

Bien sûr, ils sont inquiets. Mais nous espérons beaucoup que l’armée remportera une victoire rapide. En attendant, nous cherchons des alternatives pour stocker. Car aujourd’hui, nos agriculteurs ont peur de venir dans les ports afin de déposer leurs marchandises dans les silos. C’est dangereux. Mais il y a d’autres façons de stocker, comme par exemple dans des hangars sur les parcelles des agriculteurs eux-mêmes. Hangars que nous aiderons à fournir.

Évidemment, ce type de stockage n’est pas aussi moderne que dans les ports. Parce que les agriculteurs ont besoin d’une technologie spécifique. Les grains doivent être conservés d’une certaine façon, dans un environnement où la qualité de l’air et l’humidité sont contrôlés. Dans un endroit protégé des maladies, des nuisibles. Or les agriculteurs ne peuvent faire qu’une chose, c’est sécuriser le site. Un stockage dans ces conditions ne peut pas excéder six mois.

© RFI